Doit-on dire « le sous-marin la Minerve » ou « le sous-marin Minerve » ?

Florence Parly, la ministre des armées, l’a annoncé ce matin : « Nous venons de retrouver la Minerve. C’est un succès, un soulagement et une prouesse technique. Je pense aux familles qui ont attendu ce moment si longtemps ».

La Minerve, sous-marin d’attaque français de type Daphné lancé en 1962 avait disparu le 27 janvier 1968 au large de Toulon, avec 52 marins à son bord. Des recherches pour retrouver le bâtiment avaient été menées de 1968 à 1970, sans succès. Elles avaient repris cette année, à la demande des familles de disparus.

La nouvelle est donc bonne et importante. Elle est également l’occasion pour moi de revenir sur un sujet qui m’intéresse depuis longtemps : l’appellation des navires de guerre français.

J’ai agréablement constaté que l’immense majorité des grands médias ont bien nommé le sous-marin retrouvé LA Minerve et non LE Minerve ! Minerve étant une déesse de la mythologie romaine, le bâtiment doit être féminisé car son nom est féminin, et ce peu importe que le type de navire (sous-marin en l’occurrence) soit masculin ! C’est la règle dans la marine de guerre française, comme je l’ai largement expliqué dans un précédent article du blog.

J’ai toutefois observé une maladresse récurrente dans de nombreux articles de presse : la présence de l’article « la » lorsque le nom du navire est précédé de son type. On peut donc lire dans de nombreux articles : « le sous-marin la Minerve ». Cette façon d’écrire est incorrecte, car l’article « la » ne fait pas partie intégrante du nom du sous-marin français…

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« L’exemple des héros enfante des héros ! »

Le cuirassé Suffren à Toulon, le 23 octobre 1911. Bibliothèque nationale de France.

En 2007, la Marine nationale annonçait les noms des futurs sous-marins nucléaires d’attaque issus du programme Barracuda : Suffren, Duguay-Trouin, Tourville, De Grasse, Dupetit-Thouars et Duquesne (les deux derniers ont depuis 2015 été renommés Casabianca et Rubis, noms de deux fameux sous-marins ayant combattu durant la Seconde Guerre mondiale). Pour quelqu’un peu au courant des choses de la marine, ces noms peuvent paraitre sans grande importance et avoir été distribués au hasard dans l’unique but de les distinguer les uns des autres. Il n’en est rien cependant car, à toutes les époques de son histoire, un véritable esprit de suite a présidé la dénomination des bâtiments de la Marine française.

L’objet de ce billet n’est pas de rappeler une énième fois les hauts faits d’armes de ces grands marins, qui servirent tous dans la marine de l’Ancien Régime, à l’exception notable de Dupetit-Thouars, capitaine de vaisseau héroïquement tué sur le Tonnant lors de la bataille d’Aboukir, le 1er août 1798 (on notera que Casabianca, capitaine du 118 canons l’Orient, navire amiral de Brueys, commandant de l’escadre française chargée l’armée de Napoléon Bonaparte en Égypte, fut également tué durant cette bataille, ainsi que son jeune fils). En vérité, nous nous intéresserons ici à une vieille tradition de la Marine, celle de donner aux navires de guerre les noms des grands serviteurs de l’État, et en particulier des plus fameux marins de son histoire.

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L’enquête du journal L’Ouest-Eclair (1934)

(Suite du billet L’usage de l’article devant les noms des navires)

Dans son remarquable ouvrage Les constructions navales à Rochefort, Brouage, Soubise et Tonnay-Charente, Joël Pierre écrit : « Autrefois le nom du navire était précédé d’un article : la Belle, l’Hermione, le Foudroyant. Vers le milieu du XIXe siècle l’article précédent le nom d’un bâtiment à vapeur est supprimé mais conservé pour un navire à voiles. Ce n’est qu’en 1853 que cet article commencera à ne plus apparaître pour les navires à voiles et à vapeur. »

Le fait que l’article ne fasse plus partie intégrante des noms des navires posa rapidement problème et alimenta un débat important : le nom d’un navire est-il automatiquement du genre masculin ou non ?

Durant la première moitié du XXe siècle, cette question fit, nous l’avons vu, beaucoup parler. Devait-on dire par exemple « le » ou « la » France, « le » ou « la » Bretagne lorsqu’on évoquait les fameux cuirassés ? A l’époque du lancement du paquebot Normandie, en 1932, la question fit une nouvelle fois polémique. En 1934, le quotidien L’Ouest-Éclair publia une série d’articles intitulés Marine et Grammaire – Doit-on dire « le » ou « la » Normandie ? Yann Lorantz, l’auteur de cet article, posa la question aux « plus hautes personnalités françaises », sollicitant « les amiraux comme les académiciens… » Voici le détail de leurs réponses :

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L’usage de l’article devant les noms des navires

Au temps de la marine à voiles, une tradition séculaire voulait que l’article fasse partie intégrante du nom des navires de guerre français et qu’il soit accordé, en genre et en nombre, avec celui-ci. Dans la plupart des cas, cet article apparaissait ainsi sur la poupe des navires. On donnait, en règle générale, à un vaisseau ou à un brick un nom masculin, et à une frégate ou à une corvette un nom féminin : les vaisseaux le Soleil Royal, le Tonnant, le Redoutable ; les frégates la Minerve, la Furieuse, la Belle-Poule… Des exceptions, toutefois, existaient : les vaisseaux la Ville de Paris, la Bretagne, la République française ; les frégates le Muiron, le Rubis, le Rhin. A la fin de l’Ancien Régime puis pendant la Révolution, le pluriel fit également son apparition : les vaisseaux les Deux-Frères, les États de Bourgogne, les Droits de l’Homme.

Décor de poupe, Ornements du Saint-Philippe, 1721. Musée national de la marine.

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Brève histoire de la marine russe (1898)

Cette magnifique peinture d’Ivan Aïvazovski (1886) représente la parade navale de la flotte russe de la mer Noire en 1849, sous les yeux de Nicolas Ier. Le tsar est accompagné de son fils ainé, le tsarévitch Alexandre, de l’amiral Lazarev et des vice-amiraux Kornilov et Nakhimov. Le navire de tête, le trois-ponts Dvenadtsat’ Apostolov (Двенадцать Апостолов, Douze Apôtres), est suivi, dans l’ordre, des 84 canons Rostyslav (Ростислав, Rostislav, du nom d’un Grand-prince du XIIe siècle), Svyatoslav (Святослав, Sviatoslav, du nom d’un Grand-duc russe du Xe siècle), Yagudiil (Ягудиил), du 120 canons Tri Svyatitelya (Три Святителя, Trois Hiérarques parfois nommé Trois Saints dans les sources française), des 84 canons Gavriil (Гавриил, l’archange Gabriel), Selafail (Селафаил) et Uriil (Уриил, l’archange Uriel).

Il est souvent intéressant de lire la presse ancienne. Des sites internet tels que gallica.bnf.fr permettent un accès facile et instantané à de nombreux journaux du 19e siècle, de quoi fréquemment tomber sur des articles à propos du sujet qui nous passionne tant.

Ici un extrait du Journal des débats du mardi 27 septembre 1898, à propos de l’ouvrage Russia’s Sea-power, Past and Present Or The Rise of the Russian Navy, par George Sydenham Clarke, paru en 1898.

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L’incendie du Trocadéro à Toulon (1836)

Plan de Toulon, 1840

J’avais évoqué dans un précèdent billet la destruction par le feu du vaisseau de premier rang le Trocadéro à Toulon, le 23 mars 1836, tandis qu’il était en réparation dans le bassin de radoub. Je suis récemment tombé sur deux articles de presse à propos de cette catastrophe, publié dans le Journal de Rouen quelques jours après les faits. J’ai pris le temps de les retranscrire entièrement.

Cliquez sur le plan ci-dessus pour l’agrandir. Il représente Toulon dans les années 1840. Lors de l’incendie du Trocadéro, le vaisseau se trouvait dans le bassin n°1 (point noir sur le plan). A cette époque, le bassin n°2 était sur le point d’être terminé (1838), le n°3 sera construit entre 1841 et 1846.

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École navale : une bien belle histoire (1840)

en

Extrait du Journal Politique et Littéraire de Toulouse et de Haute-Garonne du 31 janvier 1840 (n°16, 29e année) :

« On lit dans l’Auxiliaire Breton de Rennes :

Le trait de touchante camaraderie d’école que nous allons rapporter s’est passé à Brest, sur le vaisseau-école l’Orion. Un élève de l’école de marine en a été l’objet. Ce jeune homme sort de nos murs et appartient en quelque sorte à notre ville : c’est un titre de plus pour exciter notre intéret.

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La fin du vaisseau trois-ponts le Trocadéro (1836)

Mis en chantier à Toulon en septembre 1813 sous le nom de Formidable. Rebaptisé le Trocadéro en 1823 en référence à la victoire française sur les révolutionnaires libéraux espagnols à Cadix, le 31 août 1823. Lancé le 14 avril 1824. Radoubé en 1833. Incendié accidentellement le 23 mars 1836 à Toulon. C’est ainsi que l’on peut résumer la pauvre et triste vie de ce vaisseau trois-ponts de type Sané-Borda.

Que s’est-il passé ce 23 mars 1836 ?

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