Les vaisseaux à trois ponts français

La démonstration la plus évidente d’une puissance navale est depuis des siècles la réalisation de super-bâtiments, plus grands et plus puissants que les autres navires. A l’époque de la marine à voile, ces super-bâtiments étaient les vaisseaux à trois ponts, véritables monstres flottants manœuvrés par plus d’un millier d’hommes et portant plus de 100 canons.

Comme son nom l’indique, un vaisseau à trois ponts est « un bâtiment disposant de trois batteries continues et couvertes […] Par batterie continue, entendez suite d’artillerie, donc de sabords tribués régulièrement de la proue à la poupe ». C’est là une définition simple et classique de ce type de vaisseau, empruntée à Jean Boudriot, auteur de nombreux ouvrages et articles références sur le sujet.

Jean Boudiot explique les raisons de la construction de tels vaisseaux : « Tout d’abord, raison de prestige. En effet, à l’époque, comme encore aujourd’hui d’ailleurs, les constructions navales représentaient une « technique de pointe ». Un vaisseau trois-ponts est meilleur qu’un vaisseau deux-ponts, non seulement par son artillerie, mais par l’épaisseur et la hauteur de ses murailles, avantage important dans le combat rapproché. Le trois-ponts est, par excellence, vaisseau de pavillon et la présence au combat d’un vaisseau de ce rang à une réelle importance sur le plan moral ».

Cependant, de nombreux reproches étaient fait aux trois-ponts parmi lesquels de faibles qualités à la mer, une stabilité médiocre, un poids considérable, une lenteur importante et un prix extrêmement couteux, « sa construction réclamant, pour certaines pièces, des bois de très fortes dimensions, rares et chers, obtenus à partir des plus grands chênes, âgés parfois de trois siècles, les vieux arbres présentant souvent des défauts difficiles à déceler lors de la mise en œuvre et qui pouvaient causer un prompt dépérissement ».

Du fait de ces importants défauts, les trois-ponts ne sont guère appréciés dans la Marine française et relativement peu de vaisseaux de ce type sont construits durant les XVIIIe et XIXe siècle. La plupart servent d’ailleurs très peu et il n’est pas faux d’affirmer que jusqu’à l’adoption à la fin de l’Ancien Régime des 118 canons de type Sané-Borda, dont on a l’habitude de dire qu’ils étaient « les plus beaux vaisseaux du siècle », et exception faite de la Ville de Paris (1764) et de la Bretagne (1766), les trois-ponts français du XVIIIe siècle sont de médiocres vaisseaux.

Au XVIIe siècle, les choses sont bien différentes. Dans la marine de Louis XIV, le trois-ponts est omniprésent. Il faut dire qu’à cette époque, les trois-ponts ne sont pas nécessairement des vaisseaux de premier rang. La plupart sont en fait des bâtiments de force moyenne, de deuxième rang, portant seulement 60 à 80 canons, parfois moins. Ces vaisseaux, trop courts et trop hauts, sans qualités, sont au fil du temps abandonnés au profit des deux-ponts. Dès le début des années 1690, on peut considérer que la formule trois-ponts est en France uniquement réservée à des vaisseaux de prestige de première grandeur.

Sur la cinquantaine de trois-ponts construits par la marine de Louis XIV, neuf seulement sont des vaisseaux de premier rang portant plus de 100 canons : le Royal Dauphin (1667), le Royal Louis (1668), la Reine (1668), le Soleil Royal (1669), le Victorieux (1675), le Royal Louis deuxième du nom (1692), le Soleil Royal deuxième du nom (1692), le Terrible (1692) et le Foudroyant (1694). Aucun nouveau vaisseau à trois-ponts de premier rang ne sera mis en construction durant les vingt dernières années de règne de Louis XIV, du fait du changement de stratégie adoptée à cette époque par la Marine française, privilégiant la guerre de course à la guerre d’escadre. On se contente dés lors des bâtiments construits au début des années 1690.

A la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, la Marine française compte encore, sur le papier, quelques-uns de ces vaisseaux. Inactifs depuis des années et dans un état déplorable, tous sont rayés des listes entre 1716 et 1720. Le Royal Louis de 1692, vaisseau le plus important que la France ait construit sous le règne de Louis XIV, est définitivement désarmé en 1716, condamné en 1723 et démoli à Brest quelques années plus tard. Dés lors, la France ne dispose plus d’aucun vaisseau de ce type.

Dessin de P. Pujet supposé représenter le Royal Louis de 1668.

De Louis XV à la fin de la guerre d’Indépendance

La mise en construction d’un nouveau vaisseau à trois-ponts français débute en janvier 1723, à Brest, sur les plans de l’ingénieur Laurent Hélie. Il s’agit d’un vaisseau de 110 canons nommé le Foudroyant. Le navire, mis à flot en avril 1724 et achevé l’année suivante, présente une longueur dépassant 173 pieds et doit porter 30 canons de 48 dans la première batterie, 32 canons de 18 dans la seconde, 28 canons de 12 dans la troisième, ainsi que 16 canons de 8 et 4 de 6 sur les gaillards.

Le Foudroyant ne naviguera cependant jamais et sera condamné en 1742 après avoir attendu pendant 18 ans un armement qui ne vint jamais, conséquence d’une politique de désengagement dans le domaine de la marine durant la première partie du règne de Louis XV. Les constructions neuves ne sont engagées durant cette période que pour soutenir une activité minimum dans les arsenaux français, une longue période de paix, ainsi que des difficultés financières de l’État, justifiant cette politique.

Le 14 mars 1740, tandis que le Foudroyant continue de pourrir peu à peu dans le port de Brest du fait de son inactivité, un nouveau trois-ponts, le Royal Louis troisième du nom, est mis en chantier. Les plans sont établis par Blaise Ollivier, constructeur jouissant d’une grande réputation. Malheureusement, le 25 décembre 1742, un incendie de l’atelier menuiserie de l’arsenal de Brest se propage au navire qui, en six heures, est détruit entièrement sur cale. Le vaisseau, alors achevé jusqu’au 3e pont, les baux des gaillards en place, devait être lancé durant l’année 1743. Dans sa Nomenclature des navires français de 1715 à 1774, Alain Demerliac indique que l’incendie de ce vaisseau serait dû à un acte de malveillance d’un certain Pontleau, étranger qui fut arrêté et exécuté.

Ce Royal Louis aurait été le plus grand vaisseau de l’époque et le premier à être percé à seize sabords à la batterie basse. Ses dimensions étaient en effet impressionnantes pour l’époque : longueur 190 pieds (61,75 m), largeur 51 pieds 1 pouce (16,60 m), creux 24 pieds 4 pouces (7,90 m). L’artillerie comportait 124 pièces ainsi répartis : 32 canons de 36 dans la batterie basse, 34 canons de 18 dans la deuxième batterie, 34 canons de 12 dans la troisième batterie, 18 canons de 8 sur les gaillards, et 6 canons de 4 sur la dunette.

Durant les décennies 1740 et 1750, la Marine française ne compte donc plus le moindre trois-ponts dans ses rangs. C’est précisément à cette époque que l’on commence à construire, en France, plusieurs bâtiments d’un nouveau type, les grands deux-ponts de 80 canons pourvus d’une batterie basse percée à quinze, caractéristique jusque là réservée aux seuls vaisseaux à trois-ponts. Le premier de ces vaisseaux, le Tonnant, construit en 1743 à Toulon sur des plans de François Coulomb, est d’ailleurs classé vaisseau de premier rang jusqu’en 1750. Quelques années après la construction du Tonnant est réalisé à Brest entre 1748 et 1749, sur des plans de Jacques Luc Coulomb, un autre vaisseau deux-ponts de 80 canons. Ce dernier a deux particularités remarquables. Tout d’abords le nouveau vaisseau est baptisé le Soleil Royal, nom très symbolique habituellement destiné, à l’instar des Royal Louis, aux plus grands et aux plus forts bâtiments de la flotte. La Marine française n’a pas eu de Soleil Royal dans ses rangs depuis cinquante ans et la décision de donner ce nom à un vaisseau deux-ponts, et non à un trois-ponts, est l’illustration du désintérêt de plus en plus grand que l’on porte à cette formule en France depuis le début du XVIIIe siècle. La seconde particularité de ce vaisseau de 80 canons réside dans l’armement de sa deuxième batterie, portant non pas des canons de 18 comme c’est le cas jusqu’alors sur les trois-ponts français, mais des canons de 24. Dans ces conditions, la force de ce vaisseau devient considérable et lui permet même de pouvoir soutenir le feu d’un trois-ponts classique.

Ce n’est qu’une quinzaine d’années après la destruction par le feu du troisième Royal Louis qu’un quatrième vaisseau de ce nom est finalement mis en chantier à Brest, le 1er juin 1758. L’ingénieur chargé de sa réalisation est Jacques-Luc Coulomb, né en 1713, qui deviendra ingénieur en chef du port de Brest et se retirera en 1767. Cet ingénieur a travaillé sous les ordres de Blaise Ollivier et a suivi la construction du troisième Royal Louis. En principe, les plans sont les mêmes que ceux du bâtiment de Blaise Ollivier. Ses dimensions sont identiques, mais son artillerie est sensiblement différente : 32 canons de 36 à la première batterie, 34 canons de 24 (et non de 18 comme le précèdent Royal Louis) à la deuxième batterie, 34 canons de 12 à la troisième batterie, 6 canons de 8 au gaillard d’avant et 10 au gaillard d’arrière. Soit en tout 116 canons. Le bâtiment est mis à flot en mai 1759. Il est seulement le troisième vaisseau à trois-ponts mis en chantier par les Français depuis le début du siècle, après le Foudroyant de 1723 et le Royal Louis de 1740. A l’image de ces deux derniers, son destin est loin d’être glorieux. Le Royal Louis de Jacques-Luc Coulomb est en vérité un bâtiment raté. Armé en juillet 1762, le navire doit porter le pavillon de Beaussier de l’Isle qui prépare, avec neuf vaisseaux, une expédition contre Rio de Janeiro et la baie de Tous les Saints. Finalement, la paix arrive, l’expédition est annulée et le Royal Louis est désarmé sans avoir quitté la rade. Le 11 novembre suivant, au cours d’essais, le trois-ponts est tout proche de se perdre dans un coup de vent à cause d’un manque d’assiette important. Pour remédier au problème, on décide le 20 suivant de faire débarquer la troisième batterie. Armé ainsi en flûte avec seulement 58 pièces (28×36, 24×24 et 6×8), le Royal Louis effectue en 1763 une campagne de 5 mois afin de ravitailler les Iles du Vent et Saint-Domingue. A son retour, le Royal Louis désarme à Brest où il pourrit en moins de dix ans. Sa fin est marquée par diverses propositions pour en tirer quelque parti en le rasant ; aucune ne sera retenue et le vaisseau est finalement condamné et définitivement rayé des listes en septembre 1772. Il est démoli en 1778.

A la même époque que la mise en chantier du quatrième Royal Louis commence à Rochefort la construction d’un autre trois-ponts, sur les plans de l’ingénieur Clairin Deslauriers. Baptisé dans un premier temps l’Impétueux, le vaisseau prend le nom de Ville de Paris en janvier 1762, car sa construction est financée par la municipalité de Paris, conformément à la politique navale de Choiseul, adoptée suite au désastre de la guerre de Sept Ans, qui appelle aux dons des villes, provinces et corps constitués du Royaume pour la construction des nouveaux navires de guerre. Mis à l’eau le 19 janvier 1764, la Ville de Paris est armé rapidement. Le vaisseau a la particularité de ne pas avoir d’artillerie sur les gaillards et ne présente donc que trois étages d’artillerie, regroupant un total de 90 canons. Cette originalité disparait lors d’une refonte au 3/4 du navire, effectuée d’octobre 1778 à avril 1779, à l’occasion de l’entrée de la France dans la Guerre d’indépendance américaine. A cette occasion, les gaillards et la dunette sont construits, et deux sabords de plus sont percés de chaque bord du troisième pont à la place des logements qui y étaient nécessairement placés. Six canons sont en outre installés sur le gaillard d’avant. L’armement du navire passe donc à 100 canons. En septembre 1780, à l’occasion de son doublage en cuivre, on modifie encore son artillerie : 4 canons de 8 livres sont installés au gaillard d’arrière. Le vaisseau compte dés lors 104 canons. Le trois-ponts français sera pris par les Anglais le 12 avril 1782, lors de la bataille des Saintes, par les vaisseaux HMS Canada et HMS Barfleur. Il fera finalement naufrage le 19 septembre suivant, durant une tempête près de Terre-Neuve.

A l’instar de Paris, les États de Bretagne décident également de financer la construction d’un vaisseau de premier rang. Celui-ci, nommé la Bretagne, construit à Lorient puis Brest sur les plans d’un ingénieur de réel talent, Antoine Groignard, aura une construction longue et difficile, commencé en 1764, lancé en 1766 et armé bien tardivement en 1777, à temps pour participer à la Guerre d’Indépendance américaine, durant laquelle il porta la marque du Comte d’Orvilliers durant la bataille d’Ouessant, le 27 juillet 1778. Ce vaisseau présente les dispositions classiques du trois-ponts ; il est réputé pour être le premier bâtiment de cette catégorie à montrer de bonnes qualités à la mer. Il deviendra le Révolutionnaire en octobre 1793 et sera condamné en 1796, après avoir participé pendant les guerres révolutionnaires au bataille du 13 prairial an II (1er juin 1794) et à la campagne du Grand Hiver (24 décembre 1794 au 3 février 1795).

La France commence donc la Guerre d’Indépendance avec seulement deux vaisseaux trois-ponts : la Ville de Paris et la Bretagne. Pour remédier à cet état de fait, on construit à Toulon le Terrible et le Majestueux sur les plans de l’ingénieur J.-M.-B. Coulomb ; à Brest le Royal Louis sur les plans de Guignace ; à Rochefort l’Invincible, sur les plans de Clairin Deslauriers, qui avait déjà réalisé la Ville de Paris. Tous ces trois-ponts, entrés en service au tout début des années 1780, sont percés à 15 et armés de 110 canons ; aucun ne présentera toutes les qualités désirées pour son rang. Il est intéressant de noter que le Royal Louis fut construit pour porter des canons de 48 livres, et non de 36 comme c’est habituellement le cas, dans sa batterie basse. Finalement, il les portera jusqu’en décembre 1782, date à laquelle ces canons furent installés sur le Majestueux qui ne les gardera que quelques mois, jusqu’en février 1783.

Ainsi, de l’avènement de Louis XV (1715) jusqu’à la fin de la guerre d’Indépendance, la France n’a mis en chantier que neuf trois-ponts. Parmi eux, cinq sont mis en construction durant le règne de Louis XV, aucun ne sera jamais véritablement armé. Le premier, le Foudroyant, ne navigua pas ; le deuxième, le Royal Louis de Blaise Ollivier ne fut pas achevé puisque détruit par incendie quand il était encore en chantier ; le troisième, le Royal Louis de Jacques-Luc Coulomb, ne fit jamais campagne ; les deux derniers, la Ville de Paris et la Bretagne, ne furent armés qu’au commencement du règne de Louis XVI (1774) et le début de la guerre d’indépendance américaine (1775). Ce désintérêt pour la formule trois-ponts durant le règne de Louis XV s’explique avant tout par les défauts, que nous avons déjà vus, de ce type de navire, dont la construction se révèle toujours être longue, difficile et coûteuse, pour un résultat jugé au final décevant.

Trois-ponts mis en chantier du commencement du règne de Louis XV jusqu’à l’adoption des plans types de Sané-Borda :

 Nom(s)  Constructeur  Arsenal  Sur cale  Lancement  Rayé
 Le Foudroyant  Laurent Hélie  Brest  1724  1725  1731
 Le Royal Louis  Blaise Ollivier  Brest  1740  –  1742
 Le Royal Louis  Jacques-Luc Coulomb  Brest  1757  1759  1778
 L’Impétueux, La Ville de Paris (1762)  Clairin Deslauriers  Rochefort  1757  1764  1782
 La Bretagne, Le Révolutionnaire (1793)  Antoine Groignard  Brest  1765  1766  1796
 Le Terrible  Joseph Marie Blaise Coulomb  Toulon  1779  1780  1802
 L’Invincible  Clairin Deslauriers  Rochefort  1779  1780  1807
 Le Royal Louis, Le Républicain (1792)  Léon Michel Guignace  Brest  1779  1780  1794
 Le Majestueux, Le Républicain (1797)  Joseph Marie Blaise Coulomb  Toulon  1780  1781  1807

La Ville de Paris (1764)

Les vaisseaux de 118 canons de type Sané

Le programme adopté en 1786 par le ministère de la Marine ramène le nombre de types de vaisseau dorénavant construit par les arsenaux français à trois : le trois-ponts de 118 canons, les deux-ponts de 80 et 74 canons.

A la suite du concours de 1782 pour l’adoption du plan type pour les vaisseaux de 74 canons, le chevalier de Borda, Directeur des constructions navales, suit la même démarche pour les plans du vaisseaux trois-ponts. Le bâtiment doit porter 118 canons ; la batterie basse, devant être percée à seize sabords, doit être armée de canons de 36 livres ; la deuxième batterie doit être armée de canons de 24, la troisième de 12, et les gaillards de 8. La longueur d’étrave à étambot doit être de 196 pieds (63,82 m), la largeur hors membrure est fixée à 50 pieds (16,25 m), le creux à 25 pieds (8,12 m). La hauteur de batterie ne doit pas être inférieure à 5 pieds (1,62 m), le vaisseau doit porter 7 mois de vivres et 4 mois d’eau pour un équipage de 1100 hommes environ. On remarque que les dimensions fixées par Borda sont nettement supérieures aux vaisseaux à trois ponts français construits jusqu’alors.

Des six projets fournis, c’est celui de J.-N. Sané qui est retenu, non sans quelques correctifs apportés par Borda. Le plan est largement inspiré de celui donné quelques années plus tôt pour les vaisseaux de 74 canons, également signé Sané.

Le plan du vaisseau de 118 canons ayant été adopté, l’ordre est donné, le 30 septembre 1785, de mettre en chantier les deux premiers bâtiments de ce type. L’un à Brest, nommé les États de Bourgogne car c’est un don au Roi de cette province. L’autre à Toulon, nommé le Commerce de Marseille car il est financé par la Chambre de commerce de la ville de Marseille. Ces deux bâtiments sont les premiers des neuf vaisseaux de 118 prévus par le programme de 1786, qui organise la Marine française en neuf escadres, chacune avec un trois-ponts à sa tête comme vaisseau amiral, les anciens trois-ponts de 110 canons devant être progressivement remplacés par des 118 de Sané.

Au total, seize trois-ponts de type Sané-Borda sont mis en chantier (voir tableau ci-dessous). La construction des deux premiers débute, nous l’avons vu, sous l’Ancien Régime (le Commerce de Marseille et les États de Bourgogne). Trois autres vaisseaux de ce type sont construits durant la Révolution (le Dauphin Royal, le Vengeur et la République française). La construction des onze autres a lieu durant le Premier Empire (l’Austerlitz, le Marengo, le Monarque, le Montebello, l’Impérial, le Tonnant, le Roi de Rome, l’Inflexible, le Héros, le Formidable et le Souverain). Seul cinq de ces derniers vaisseaux de 118 canons commencés sous l’Empire entreront en service avant l’abdication définitive de Napoléon, en 1815.

Le Roi de Rome, mis en chantier en 1811 et nommé ainsi en l’honneur du fils de l’Empereur, ne sera jamais terminé. Renommé le Sans-Pareil au début de la Restauration, il est en effet démonté en 1816 parce que sa membrure, peu avancée, dépérissait sur les chantiers. Il sert à la refonte du vaisseau le Wagram à la fin de l’année 1818 (source : Annales maritimes et coloniales, 1820, tome 2, p.666).

Trois 118 canons seront perdus au combat : le Commerce de Marseille, capturé par les Anglais lors du siège de Toulon en 1793, l’Orient, qui explose durant la bataille d’Aboukir en 1798, et l’Impérial, perdu durant la bataille de San Domingo le 6 février 1806.

Il est également intéressant de noter que quatre vaisseaux de 118 canons : le Tonnant, le Souverain, le Montebello et la Ville de Paris – ex le Marengo – seront transformés en vaisseaux mixtes (à vapeur) dans les années 1850.

Les 118 canons sont habituellement considérés comme une grande réussite. Un rapport anglais rédigé suite à la capture du Commerce de Marseille à Toulon le 18 décembre 1793 précise que le trois-ponts est un vaisseau « aux lignes exceptionnellement fines, un bon navire de haute mer […] En dépit de ses dimensions, il navigue comme une frégate, il a une bonne tenue à la mer. Peu de navires sont comparables à lui, c’est un remarquable navire, très sûr et aisé ».

Réfléchissant à l’avenir de la construction navale française au lendemain de la chute de Napoléon, l’ingénieur Tupinier écrit quant à lui en 1822 : « Je ne proposerai certainement jamais de toucher au vaisseau de 118 canons de M. le baron Sané, de l’aveu de tous les marins, c’est le chef-d’œuvre de l’architecture navale. » Dés lors, les Français se contenteront pour l’essentiel, jusqu’à la fin de la marine de guerre à voile au milieu du XIXe siècle, des 118 canons de type Sané comme vaisseaux de premier rang. Seuls le Valmy (1847) et la Bretagne (1855) feront exceptions, et ceci est déjà une autre histoire…

Trois-ponts type 118 canons Sané-Borda :

Nom(s) (année du changement de nom) Arsenal Sur cale En service Rayé
 Le Commerce de Marseille  Toulon  1786  1788  1793
 Les États de Bourgogne, La Montagne (1793), Le Peuple, L’Océan (1795)  Brest  1786  1790  1855
 Le Dauphin Royal, Le Sans-Culotte (1792), L’Orient (1795)  Toulon  1790  1791  1798
 Le Peuple, Le Vengeur (1794), L’Impérial (1805)  Brest  1793  1803  1806
 La République Française, Le Majestueux (1803)  Rochefort  1794  1803  1839
 L’Austerlitz  Toulon  1806  1809  1837
 Le Marengo, La Ville de Vienne (1807), Le Comte d’Artois (1814), La Ville de Paris (1830)  Rochefort  1807  1851  1882
 Le Monarque, Le Wagram (1810)  Toulon  1809  1810  1837
 Le Montebello  Toulon  1810  1813  1867
 L’Impérial, Le Royal Louis (1814)  Toulon  1810  1814  1825
 Le Tonnant, Le Louis XIV (1828)  Rochefort  1811  1854  1880
 Le Roi de Rome, L’Inflexible (1814), Le Sans Pareil (1815)  Brest  1811  –  –
 L’Inflexible, Le Duc de Bordeaux (1820), Le Friedland (1830), Le Colosse (1865)  Cherbourg  1812  1840  1864
 Le Héros  Toulon  1812  1813  1828
 Le Formidable , Le Trocadero (1823)  Toulon  1813  1824  1836
 Le Souverain  Toulon  1813  1840  1885

Le Commerce de Marseille (1788)

Sources :
– Boudriot, Jean. Modèles historiques du Musée de la Marine.
Boudriot, Jean. Les vaisseaux de 74 à 120 canons.
Boudriot, Jean. Le vaisseau trois-ponts l’Océan. Revue Neptunia numéro 102.
– Boudriot, Jean. Les Royal Louis. Revue Neptunia numéro 113.
Delacroix, Gérard. Monographie du Commerce de Marseille.
– Demerliac, Alain. Nomenclature des navires français de 1715 à 1774.
– Demerliac, Alain. Nomenclature des navires français de 1774 à 1792.
Humbert, Jean-Marcel ; et Bruno Ponsonnet (sous la direction de). Napoléon et la mer : Un rêve d’Empire.

3 réflexions sur “Les vaisseaux à trois ponts français

  1. Qu en est il de la Ville de Vienne autres noms, Comte d Artois ,Ville de Paris ,lancé en 1851,était dans la flotte alliée qui ,le 17octobre 1854,bombarda les ports de Sébastopol ,commande par l amiral Hamelin.Démoli en 1898,je pense à Toulon .ce trois ponts avait une machine de 600cv .il a terminé sa carrière comme ponton caserne.

  2. Bonjour, ne pas à manquer.

    Aquarelle contemporaine de « L’Orient », faite par François-Xavier Moulin qui servait à bord du vaisseau en soldat cannonier, semble-t-il. Le certificat qui confirme qu’il a reçu la medaille de Sainte-Hélène dit qu’il servait de 1792 à 1815 comme soldat du 2ème régiment d’artillerie de marine.

    https://www.jeanmoulin.fr/Ancetres

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