La Flore (1847-1900)

Je signale la parution récente aux éditions Ancre d’un ouvrage qui m’intéresse particulièrement : La Flore – De la frégate au croiseur (1847-1900)

Rencontre avec l’auteur de cet ouvrage, Alban Lannéhoa, officier de marine, également auteur du blog Tribord-Amure à propos de l’histoire de la marine au XIXe siècle. L’occasion de discuter de cette frégate, de sa conception, de son histoire et de l’évolution de ce type de navire au XIXe siècle.

Pourquoi avoir choisi d’écrire un ouvrage sur la frégate la Flore en particulier ?

Alban Lannéhoa : Et bien un peu par hasard ! Je suis tombé un soir sur les carnets manuscrits de l’élève ingénieur hydrographe Maurice Rollet de l’Isle, qui a embarqué sur la Flore en 1881. Cette frégate était alors le bâtiment école pour la campagne d’application des aspirants de Marine. Rollet de l’Isle a suivi les élèves officiers vers l’Atlantique Sud puis à travers la Méditerranée. Il a raconté ce voyage, la vie à bord et les escales avec un sens du détail remarquable et beaucoup d’humour. Son récit est d’autant plus immersif qu’à une grande culture et une très belle plume s’allient de magnifiques dessins. On vit avec l’auteur de ces carnets le quotidien d’un navire de guerre de la fin du XIXe siècle et c’est passionnant.

J’ai tout de suite pensé qu’il faudrait retranscrire ce manuscrit pour le rendre accessible au plus grand nombre, ce qu’on a fait depuis avec les Éditions Voilier Rouge. Puis, en faisant quelques recherches j’ai découvert que la carrière de la Flore était loin de se résumer à ce rôle de navire-école. C’est aussi l’un des tous premiers croiseurs, au sens moderne du terme, qui illustre à merveille le profond bouleversement technologique qu’ont connu les marines européennes au milieu du XIXe siècle, entre la Marine à voiles et la Marine moderne.

Surtout, l’histoire de ce navire rejoint la grande Histoire : la Flore a pris part à la guerre de 1870, et c’est à son bord que l’aspirant Julien Viaud, le futur Pierre Loti, a révélé son potentiel d’écrivain. Cette frégate a également participé aux opérations à Madagascar en 1883, avant d’escorter deux ans plus tard l’Isère qui a convoyé la statue de la Liberté vers New York.

Mise en chantier en 1847, la Flore n’a été condamnée qu’en 1900, une page d’histoire extraordinaire ! Peu de navires ont ainsi incarné l’histoire de leur siècle, et j’ai voulu aller au-delà des carnets de Rollet de l’Isle pour raconter cette aventure unique.

La Flore en armement sur la Charente, SHD Rochefort, 2G4 909

La Flore a été mise en chantier en 1847 mais son lancement date de 1869, soit plus de 20 ans plus tard ! Comment l’expliquer ?

AL : La Flore est à l’origine un voilier très classique. A sa mise en chantier en 1847 on reprend les plans de Jean-Baptiste Hubert pour l’Artémise, une frégate de 24 lancée vingt ans plus tôt. On modifie uniquement la poupe et on prévoit des canons de 30 livres et non plus de 24. Ce sont des changements mineurs et ce n’est donc pas un bâtiment très innovant initialement. En outre, l’instabilité politique de l’époque ne favorise pas les programmes navals. La révolution de 1848 est un premier coup d’arrêt, avec une baisse de plus de 25% des crédits de la Marine sur trois ans. Les travaux sur la Flore prennent déjà du retard.

Ensuite, des innovations technologiques majeures rendent la frégate classique pratiquement obsolète. La propulsion à la vapeur s’impose progressivement dans le paysage naval et change totalement la donne. Alors qu’on débute à peine la construction de la Flore, la Pomone est la première frégate à recevoir une hélice, beaucoup plus pertinente pour la propulsion de bâtiments militaires que les encombrantes et vulnérables roues à aubes qui sont déjà assez répandues dans les marines militaires et de commerce. Le vaisseau Napoléon suit en 1850 la même formule, et s’illustre pendant la guerre de Crimée en remorquant la Ville de Paris dans les détroits turcs, pendant que les vaisseaux de la Royal Navy restent piteusement encalminés. La Flore ne répond dès lors plus aux attentes de l’époque : en 1855 une commission mandatée par le ministre de la Marine affirme que « tout navire qui n’est pas pourvu d’un moteur à vapeur ne peut être considéré comme un navire de guerre ».

La Flore sera sauvée par une opération ambitieuse décidée en 1858 pour la moderniser : on coupe le navire en deux pour ajouter une section centrale accueillant une machine à vapeur. A l’issue, la Flore est un navire totalement différent : elle mesure près de 75 mètres et affiche un déplacement plus important que celui des vaisseaux de ligne qui s’affrontaient à Trafalgar. Le gros œuvre est achevé vers 1862, il restera encore quelques années de travaux pour les aménagements intérieurs du navire, la conception de la machine à vapeur, puis la fabrication des chaudières dans la fonderie d’Indret, sur la Loire. La frégate est finalement prête à naviguer juste avant la guerre de 1870.

Lancement de la Flore à Rochefort le 27 février 1869, SHD Rochefort 2G4 904 015

Le sous-titre de votre ouvrage « De la frégate au croiseur » sous-entend une évolution du rôle de ce type de navire au XIXe siècle. Est-ce exact ?

AL : Malgré cette transformation impressionnante, la Flore n’est pas un bâtiment de combat de premier rang. Depuis la démonstration éclatante des batteries flottantes cuirassées pendant la guerre de Crimée, puis le lancement de la Gloire en 1859, on a rapidement basculé dans l’ère des navires cuirassés.

Les frégates mixtes comme la Flore, alliant l’agilité et l’autonomie du voilier aux capacités de marche par tout temps du navire à vapeur, restent toutefois très utiles pour assurer des missions de protection du commerce national, et de lutte contre le commerce de l’ennemi. Elles sont tout indiquées pour reprendre pleinement ce rôle après l’abolition de la guerre de course par moyens privés en 1856 (via le traité de Paris). Pour cela nul besoin de cuirasse, il faut au contraire être agile et endurant. En outre, on ne trouve pas facilement de charbon de qualité dans les stations navales éloignées, et la voilure de cette dernière génération de frégates classiques est encore leur mode de propulsion privilégié. On n’use de la vapeur que pour marcher contre le vent, rattraper un bâtiment de commerce ou échapper à une escadre ennemie.

On va appeler « croiseurs » les navires militaires répondant à cette mission, un terme ancien de marine que l’on préfère à celui de « corsaire » pour éviter la confusion avec le recours au privé que l’on vient d’interdire. Cette désignation remplacera bientôt celui de frégate dans les documents officiels.

La Flore servira dans de rôle de croiseur dans l’Atlantique et dans le Pacifique pendant la guerre de 1870, puis dans l’Océan Indien au début de la Conquête coloniale. Elle croisera la route de personnalités d’un autre temps, la Reine de Tahiti, le Roi d’Hawaï, le Roi des Zoulous ou le Sultan de Zanzibar, et accueillera l’écrivain Jules Verne à son bord. Elle finira cette belle carrière comme bâtiment amiral dans l’arsenal de Brest, avant d’être condamnée dans les premiers mois du XXe siècle.

Dessin de la Flore à la vapeur, Maurice Rollet de l’Isle, SHD Brest, 24 S 2

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