Sous l’Ancien Régime, il est très paradoxal de constater que la plupart des officiers de vaisseau ne savaient pas nager, et ce en vertu d’un principe simple : si on avait le malheur de tomber à l’eau, en sachant nager, on souffrait longtemps ; si au contraire on ignorait la natation, on coulait immédiatement sans véritablement souffrir. L’historien spécialiste de la marine Michel Vergé-Franceschi estime ainsi que seuls 1 à 2% des officiers savaient nager aux 17ème et 18ème siècles.
A cette époque, seuls les chevaliers de Malte apprenaient à nager avant d’embarquer sur les galères de la Religion, bâtiments de bas bord dont la principale technique de combat était l’abordage, durant lequel les risques de tomber à la mer étaient grands. C’est grâce à cet apprentissage que le commandeur de Verdille fit partie des rares survivants du naufrage de la Lune devant Giens en 1664, ou que le comte de Tourville fut l’un des quatre rescapés du Sans-Pareil, qui sombra le 19 octobre 1679. Son fils ainé de 19 ans n’eut pas la même chance et compta parmi les 800 marins qui se noyèrent ce jour-là…
Il fallut en fait attendre les dernières années du règne de Louis XV pour que l’on envisage sérieusement d’enseigner la natation aux élèves de la marine. Dans un intéressant Mémoire anonyme et non daté, concernant la formation des officiers de la marine, un Toulonnais écrivit ainsi au marquis de Boynes, au début des années 1770 : « On a vu dans bien des circonstances, périr des officiers de marine faute de savoir nager. Un officier qui sait nager ne craint pas à l’abordage de s’élancer dans le vaisseau de l’ennemi. Celui qui ne le sait pas craint toujours de se laisser tomber dans l’eau. Sur 50 officiers de marine à peine y en a-t-il un qui sache nager […] (Il faudrait) des maîtres de natation (pour leur apprendre) avec toutes les précautions possibles. »
De Boynes fut le premier ministre de la Marine qui souhaita faire apprendre à nager aux futurs officiers, grâce à « un nombre suffisant de gens de mer bons nageurs, qui prendront toutes les précautions nécessaires pour accoutumer par degrés (les élèves de l’école du Havre [que l’on peut considérer comme une ancêtre de l’École navale])… à nager, et leur faire acquérir la hardiesse nécessaire ». Le ministre nommé en 1771, mal aimé, n’eut cependant pas le temps d’appliquer ses idées, il fut remercié en 1774 et l’école du Havre fermée dés 1775, sans que la natation ait été inscrite au programme quotidien des cours.
Plus tard, le baron de Bonnefoux, évoquant le collège d’Angoulême (également ancêtre de l’École navale) qui avait été créé en 1816, écrivit dans un article parut dans les Nouvelles Annales de la marine et des Colonies (t. III, 1850, p. 164 et suiv.) : « On y institua une école de natation ; ainsi disparut cette anomalie fâcheuse et singulière qu’on avait remarquée jusque-là, de jeunes gens destinés à vivre sur l’eau et qui ne savaient pas nager. » Lorsque le collège d’Angoulême devint École de marine préparatoire, de 1827 à 1830, « les exercices nautiques et la natation y furent maintenus ».
Il faut cependant attendre le Second Empire pour que, dans les années 1860, s’établisse à bord du Borda une véritable école de natation, sous la direction d’un sergent d’armes auquel furent adjoints huit instructeurs formés par lui. Dés lors, l’apprentissage de la natation devint essentielle et systématique, mettant fin à une anomalie à peine croyable aujourd’hui.
Source :
– Vergé-Franceschi, Michel. Marine et éducation sous l’Ancien Régime.
– Vergé-Franceschi, Michel (sous la direction de). Dictionnaire d’histoire maritime.
Illustration : Extrait de l’ouvrage L’Art de nager, de Malchisédech Thevenot, 1782.
Je suis entré en 1967 à Hourtin et il n’était pas obligatoire de savoir nager.
Les bateaux n’étaient pas fait pour couler.
Cordialement
Article très juste. En plus de ce qui y est dit, au temps de la marine à voile un marin qui tombait à l’eau n’avait guère de chances de survie. À la fin du règne de Louis XVI, la hune la plus haute d’un trois-ponts se trouvait à une cinquantaine de mètres au-dessus des vagues, et même si on ne tombait pas sur le pont de bois on se tuait d’ordinaire en frappant l’eau. Faire faire demi-tour à un vaisseau de ligne de quelques milliers de tonnes, ou même à un voilier plus petit, prenait assez longtemps pour qu’on fût emporté par le courant irrémédiablement. Même les marins pêcheurs ne savaient donc en général pas nager. Le Vaisseau de soixante-quatorze canons de Jean Boudriot évoque ces accidents, et décrit le bruit qui retentissait dans tout le navire lorsque, par hasard, le matelot tombait sur le pont, étroit proportionnellement, d’un navire de guerre.
L’épave de La Lune fut explorée voici quelques années.
La présentation de cette vidéo affirme que le Roi-Soleil et son entourage auraient cherché à faire oublier ce naufrage. Je suppose que c’est une maladroite manière de dire que, au XVIIe siècle comme à n’importe quelle époque, et en France comme n’importe où ailleurs, le deuil d’un naufrage n’est pas ressassé (sauf pour le Titanic…). L’article de Wikipédia sur ce vaisseau est mieux rédigé.
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