De l’utilité de connaitre l’histoire de notre marine

Il arrive parfois que l’on tombe sur un texte ancien et oublié mais toujours aussi fort de sens qui nous marque et nous touche à un point tel que l’on se surprenne à le lire deux, trois et même dix fois d’affilée afin d’être bien certain d’en comprendre et d’en apprécier chaque mot. Il se trouve que je viens d’en trouver un. Publié dans la Revue maritime et coloniale en 1883 en introduction d’un article portant sur les trois vaisseaux ayant porté le nom le Souverain durant l’histoire de la Marine française, je ne peux m’empêcher de le retranscrire entièrement.

« La carrière maritime est, par excellence, la carrière de l’abnégation et du sacrifice. Elle développe les côtés les plus nobles et les plus beaux de la nature humaine. Les privations morales et physiques en sont la caractéristique en temps de paix, vivre loin de sa patrie, de sa famille, avoir toujours en face le danger et le vaincre, lutter contre les éléments déchaînés, supporter les épreuves des épidémies, montrer dans les pays les plus lointains le pavillon de la France et l’y faire respecter en temps de guerre, sillonner les mers à la recherche de l’ennemi, être à chaque minute prêt au combat, et la lutte engagée, triompher ou avoir pour linceul les flots de l’Océan. Le personnel qui arme nos navires de guerre doit donc présenter des qualités militaires et morales de premier ordre, il appartient aux chefs de les développer. Quoi de plus propre à cet effet que le tableau des vicissitudes supportées héroïquement par nos prédécesseurs ? Nous y puisons des enseignements fortifiants, car, comme l’a dit le plus illustre des marins anglais, Nelson, « rien ne vaut comme l’exemple ».

La marine, plus que toute autre carrière, a donc besoin de la tradition ; nous trouvons le fil non interrompu de cette tradition, tradition de dévouement à la patrie, tradition de discipline, en un mot tradition de l’honneur, dans l’histoire de nos guerres maritimes. A côté de cette tradition générale qui représente l’idée Patrie, il existe la tradition particulière à chaque bâtiment, qui représente l’idée Famille. Il est utile que chaque homme qui a l’honneur de monter un bâtiment de guerre, sache les faits historiques que réveille le nom écrit en lettres d’or sur le couronnement. Il s’établit ainsi entre nos prédécesseurs et nous ce lien, élément d’émulation, qui constitue la tradition de chaque navire. Nos frères d’armes de l’armée de terre l’ont bien compris : le drapeau qui, le jour du combat, brave les balles ennemies et sert de ralliement au soldat, porte, gravés dans ses plis, les glorieux états de service du régiment. Le vaisseau le Souverain a son histoire comme celle des peuples et des hommes, elle renferme des pages brillantes de succès et des pages sombres de revers. Mais nous sommes heureux et fiers de n’y constater aucune faiblesse et de proclamer que les équipages antérieurs du vaisseau le Souverain pourraient tous fixer, sans crainte, les yeux sur la devise qui a été la règle de leur conduite et qui est aujourd’hui inscrite sur le fronteau de la dunette Honneur et Patrie. »

L’auteur de ce texte est Étienne Farret, alors Lieutenant de vaisseau servant sur le Souverain, vaisseau-école des apprentis-canonniers à Hyères. Ses états de service sont disponibles sur l’Espace Tradition de l’École navale.

Une trop grande foi en l’humanité

Dans le cadre de mes dernières recherches, je suis tombé sur un article de presse du journal L’Illustration datant de 1843. Un passage de cet article m’a assez marqué :

« Plus on perfectionne les moyens de destruction, moins on a à craindre d’avoir à les employer. Plus on se prépare à la guerre, à une guerre meurtrière et inexorable, plus les nations resserrent leurs liens ; aussi le jour où il sera possible de détruire une ville, de renverser des colonnes entières avec un boulet de canon, ce jour-là les portes du temple de Janus seront fermés pour jamais. Si vis pacem, para bellum : c’est le précepte ancien, qui est aujourd’hui plus vrai qu’il ne l’a jamais été. »

Chacun aura son avis sur la question…

Je ne peux pas m’empêcher de citer, sur plus ou moins le même sujet,  Henri-Joseph Paixhans – célèbre pour avoir introduit les canons-obusiers dans la marine – qui en 1823 se posait la question : « l’emploi d’un moyen trop destructeur ne sera-t-il pas contraire à la morale, à l’humanité, aux usages de la guerre ? ». A cela il répondit avec pertinence : « c’est la guerre elle-même qui est contraire à la morale et à l’humanité, mais comme toujours il y aura les ambitions, toujours aussi il y aura des guerres ; toujours par conséquent les moyens de destruction seront employés, et toujours on cultivera l’art de donner à ces moyens la plus grande puissance possible. »

L’origine du nom de Lorient

Le saviez-vous ?

« Quand la Compagnie des Indes Orientales eut établi son siège au Port-Louis, en 1666, elle chercha un terrain pour établir ses chantiers de construction navale, et, après avoir pensé à Kernevel, Saint-Michel et Saint-Christophe, elle choisit un lieu désert, dont elle prit possession le 31 août 1666. Ce lieu est appelé par le sénéchal d’Hennebont soit Rohellec Beg er Roheu (lieu rocheux de la pointe des roches), soit le Faouédic (le petit bois de hêtres), du nom de la seigneurie voisine. Ce nom de Faouédic fut seul employé par les directeurs du Port-Louis dans leur correspondance ; mais il n’était pas exact, puisque le terrain n’était situé que « sur le canal de la rivière qui conduit vers les terres du Faouédic », comme l’atteste le procès-verbal de prise de possession. Les lettres émanant de Paris et de Versailles ne parlent que du Port-Louis ; il est donc clair que la Compagnie des Indes Orientales n’a jamais songé à baptiser solennellement ses chantiers du nom de « l’Orient ».

Ce nom s’est imposé peu à peu dans le pays. On aurait pu en trouver un autre ; mais celui-ci prévalut, parce que le navire de mille tonneaux, que la Compagnie mit sans attendre en chantier, fit certainement sensation dans la population du pays ; et ce vaisseau, dont la dénomination officielle était le Soleil d’Orient, était appelé communément l’Orient, comme le prouve la correspondance publiée par Dernis (Recueil… concernant la Compagnie des Indes Orientales, Paris, 1753, 4 vol. in-4°, pp. 277, 288, 290, 364, etc.). Il ne fut achevé qu’en 1671 ; et les chantiers, où l’on y travailla si longtemps, furent les « chantiers de l’Orient ».

[…]

Quand, le 6 mars 1671, le vaisseau l’Orient quitta la Bretagne pour les Indes, son nom resta aux chantiers où il était demeuré près de cinq ans en construction, et des chantiers il passa à l’agglomération qui se forma peu à peu dans la lande voisine. »

Source : Annales de Bretagne. Tome 58, numéro 1, 1951. pp. 200-201. « Le nom de Lorient », par H.-F. Buffet.

Le 18 juin…

Extrait de la « lettre d’info » du site Napoleon.org, à propos de la guerre anglo-américaine prononcée il y a 200 ans, le 18 juin 1812, ouvrant un théâtre militaire supplémentaire dans les guerres napoléoniennes.

Son message décrivit « une série d’actes hostiles [de la part de la Grande-Bretagne] envers les États-Unis, comme nation indépendante » et mit l’accent sur la violation de ses droits maritimes : « [N]otre commerce a été ravagé dans toutes les mers ; les grands établissements commerciaux de notre pays ont été exclus de leurs marchés légitimes ; et un coup destructif s’est dirigé contre nos intérêts agricoles et maritimes […]. Non content de ces expédients destructeurs de notre commerce neutre, le cabinet britannique a eu recours à la fin au système de blocus, sous le nom d’ordres du conseil, qui ont été tournés et retournés suivant ses vues politiques, sa jalousie commerciale et l’avidité des croiseurs anglais. » [ Moniteur, 6 août 1812]

Pour Madison, le comportement du gouvernement britannique équivalait à plusieurs actes de guerre : « Nous voyons enfin, du côté de la Grande-Bretagne, un état de guerre contre les États-Unis, et du côté des États-Unis, un état de paix envers la Grande-Bretagne. »

Le message de guerre de Madison passa à la chambre des représentants (la chambre basse) et au Sénat (chambre haute) pour être débattu et adopté comme loi. Si la chambre basse adhéra assez vite au message (4 juin) et déclara la guerre ; en revanche, le Sénat – moins belliqueux – pencha plutôt pour un conflit maritime limité, visant le commerce et les navires britanniques. Finalement le Sénat se décida aussi en faveur de la guerre, le 17 juin, et la loi fut adoptée. Le lendemain, James Madison signa la loi. « Il est arrêté par le Sénat et la chambre des représentants des États-unis d’Amérique, assemblés en congrès, qu’il y a guerre, et qu’elle est déclarée par la présente exister entre le Royaume-uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande et ses dépendances, et les États-Unis d’Amérique et leurs territoires; et que le président des États-Unis soit et est par la présente autorisé à employer toutes les forces de terre et de mer des États-Unis pour la mettre à exécution, et à délivrer aux vaisseaux armés particuliers des États-Unis, des commissions ou lettres de marque et de représailles générales, dans la forme qu’il jugera convenable, et sous le sceau des États-Unis, contre les vaisseaux, marchandises et effets du gouvernement dudit royaume-uni de la Grande Bretagne et de l’Irlande, et de ses sujets. Le 18 juin 1812. Approuvé, James Madison. » (Moniteur universel du 6 août 1812)

Le 18 juin 1812, l’état de guerre fut officiellement établi entre les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne et l’Irlande. »

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James Madison, quatrième président des Etats-Unis d’Amérique de 1809 à 1817.

Napoléon, le corsaire

« Au nom de l’Empereur,

Le ministre de la Marine et des Colonies permet par la présente à MM. Blaize et fils et Robert Surcouf de faire armer et équiper en guerre un corsaire nommé le Napoléon, du port de quatre cents tonneaux, commandé par le capitaine Malo Le Nouvel, avec tel nombre de canons, boulets, et telle quantité de poudre, plomb et autres munitions de guerre et vivres qu’ils jugeront nécessaire pour le mettre en état de courir sur les ennemis de l’Empire et sur les pirates, les rencontrer, de les prendre et amener prisonniers avec leurs navires, armes et autres effets dont ils seraient saisis ; à la charge par lesdits armateurs et capitaines de se conformer aux lois, ordonnances et arrêtés concernant la police de la navigation et la course en particulier ; de faire enregistrer la présente au bureau de l’inscription maritime du lieu de son départ, d’y déposer un rôle d’équipage signé et certifié d’eux et du capitaine, contenant les noms et surnoms, âges, lieux de naissance et de demeure des gens de l’équipage, et à la charge par ledit capitaine de faire à son retour, ou en cas de relâche, son rapport par-devant l’administration de la marine.
Les officiers et agents des puissances amies et alliés de l’Empire sont invités à donner audit capitaine toute assistance, passage et retraite avec son dit bâtiment et les prises qu’il aura pu faire.
Il est ordonné aux commandants des vaisseaux de Sa Majesté Impériale de laisser passer ledit capitaine avec son bâtiment et ceux qu’il aura pu prendre sur l’ennemi et de lui donner secours et assistance.
Ne pourra la présente servir que vingt-quatre mois seulement, à compter de la date de son enregistrement.

A Paris, le 28 brumaire an XIII [19 novembre 1804].

Decrès. »

Le Napoléon était un trois-mâts armé de 28 canons. Le capitaine Malo Le Nouvel (ou Lenouvel) avait sous ses ordres 16 officiers et 130 hommes d’équipage. Le corsaire quitta Saint-Malo le 20 janvier 1805. Après avoir écumé l’Océan Indien où il captura non loin de l’île de France les navires anglais Experiment, Diamant et Hercule, il fit côte près du cap de Bonne-Espérance en 1806 en tentant d’échapper à une attaque anglaise. L’équipage et les éléments les plus précieux de la cargaison furent toutefois sauvés.

Source : Surcouf, par M. Héburel.

John Perkins, officier de la Royal Navy

Nous sommes encore en janvier et je suppose qu’il m’est encore possible de souhaiter une très belle et heureuse année 2012 aux quelques lecteurs, habitués ou non, de Trois-Ponts!

Cela fait, je me permets de citer une brève mais intéressante biographie, proposée par le site internet de la fondation Napoléon (napoleon.org), d’un officier de la Royal Navy que je ne connaissais pas, à savoir John Perkins, premier officier de couleur de la Royal Navy, qui décédait il y a 200 ans jour pour jour :

« Le 24 ou 27 janvier 1812 mourait John Perkins, premier officier de couleur de la Royal Navy, après quelque quarante années de service dans la Marine. Même si l’on ne connaît que peu de choses sur les premières années de sa vie, on le disait mulâtre », ce qui laissait entendre que sa mère aurait été une esclave. Né en Jamaïque, alors sous autorité britannique, il apparaît tout d’abord dans les rapports de la Marine vers la fin 1775, en tant que pilote à bord du HMS Antelope. Son poste aux commandes du Punch en 1778, lui valut le surnom de « Jack Punch ». Il participa à la guerre d’indépendance américaine et finit la guerre au grade de lieutenant. Dans le volume 27 du Naval Chronicle (publié en 1812), il était relaté que ce dernier « dérouta l’ennemi, plus qu’un autre officier, aux commandes du Punch et de plusieurs autres navires, par ses exploits répétés, son courage et le nombre de ses prises. Sa connaissance des différents ports, dans les Antilles, ne fut que rarement égalée, jamais surpassée. » Cette connaissance fut essentielle dans l’évolution de sa carrière : durant les années 1790, il travailla pour les services d’intelligence de la Royal Navy, et fut arrêté en 1792 par les autorités françaises qui l’accusaient d’avoir prêté main forte à la rébellion des esclaves qui avait éclaté. Il fut sauvé, le jour de son exécution par un navire de guerre britannique commandé par William Nowell. En juillet 1803, durant la guerre avec la France, il commanda le Tartar (avec ses 32 canons), et gagna l’estime de tous lors de l’engagement face au plus grand navire de guerre français : le Duquesne (et ses 72 canons) au large des côtes de Saint-Domingue. Vers la fin de 1804, Perkins souffrant d’asthme, dut se résigner à laisser les commandes du Tartar rappelé an Grande-Bretagne, plutôt que de quitter le climat propice des Antilles. Rejetant ses missions en Méditerranée et dans la Manche pour raisons similaires, Perkins retourna donc en Jamaïque pour le reste de ses jours. »