Le développement de l’arme sous-marine

Le sous-marin français Gymnote, le 22 février 1890

Je lisais dernièrement l’ouvrage récemment paru aux éditions Perrin, La guerre sous-marine allemande 1914-1945, de François-Emmanuel Brézet. L’occasion de rédiger une brève réflexion sur le développement de l’arme sous-marine et de montrer que, quasiment dés l’origine, cette arme a été pensée pour combattre les Britanniques.

L’idée de construire un navire sous-marin est, contrairement à ce que l’on pourrait penser, assez ancienne. Dés l’Antiquité en vérité ! Au fil du temps, cette idée va petit à petit se concrétiser. Au XVIème siècle par exemple, François Bacon de Verulam écrit : « Nous avons ouï dire qu’on avait inventé une autre machine en forme de petit navire, à l’aide de laquelle des hommes pouvaient parcourir sous l’eau un assez grand espace. » Quiconque voudra résumer l’histoire du sous-marin commencera toutefois son introduction en évoquant le Turtle de David Bushnell et le Nautilus de Robert Fulton. Il est intéressant de noter, outre le fait que ces deux navires sont le fruit d’inventeurs américains, qu’ils ont été imaginés pour combattre la marine britannique, pendant la Guerre d’Indépendance pour le premier, un peu plus tard, à l’époque de la Révolution française, pour le second.

Fulton, convaincu que « la liberté des mers devait accroitre le bonheur de l’espèce humaine » (« the liberty of the seas will be the happiness of the earth » extrait de son ouvrage Torpedo war and submarine explosions publié en 1810), proposa son navire au principal adversaire de la Royal Navy (dont l’hégémonie empêchait naturellement toute « liberté des mers ») : la Marine française. L’ingénieur américain s’adresse dans un premier temps au Directoire en 1797, mais n’a pas de véritable retour. Il retente sa chance lorsque Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir, en 1799. Dans une lettre à Pierre Alexandre Forfait, alors ministre de la marine, datée du 10 avril 1800, il écrit notamment que le but de son sous-marin est « la destruction du despotisme et du monopole maritime de l’Angleterre ».

Les autorités françaises, Napoléon en tête, furent naturellement séduit par le discours de Fulton, et s’intéressèrent véritablement – pendant un temps – à son sous-marin. Les essais de ce dernier furent toutefois jugés décevants et ne convainquirent pas, aussi l’histoire n’alla pas plus loin. Les Anglais s’inquiétèrent du séjour de Robert Fulton en France. Ses travaux furent surveillés et un rapport adressé au Premier ministre de l’époque, Henry Addington, conseillait vivement d’attirer l’ingénieur américain en Angleterre. Il est en outre avéré que les Anglais tentèrent plusieurs fois d’acheter le secret de ses inventions. A propos de l’une d’elles, la torpille (qui intéressa pendant un temps William Pitt, qui succéda à Addington comme Premier ministre) l’amiral Jervis déclara : « Pitt est le plus grand des sots qui aient jamais existé d’encourager un genre de guerre inutile à ceux qui sont les maitres de la mer et qui, s’il réussit, les privera de cette suprématie. »

La logique de l’amiral anglais semble implacable ! Quand on est maitre du jeu, on ne cherche pas à en changer les règles. « Comment supposer en effet que les Anglais favorisassent aucune invention ayant pour objet d’annuler leur supériorité maritime » écrit le capitaine de vaisseau français Montgéry en 1822. Assurément, le sous-marin fait partie de ces inventions.

L’officier français écrit encore en 1823 : « Un seul de ces navires [sous-marins] serait très redoutable pour une nation qui doit au commerce maritime une grandeur et prospérité dont toutes les autres nations ressentent la redoutable influence. » Puis en 1824 : « Des navires qui deviennent invisibles à volonté, et qui ont la faculté de combattre sous l’eau, sont la seule invention, dans l’état actuel de nos connaissances, qui puisse faire disparaitre la supériorité navale des Anglais. Quelques corsaires sous-marins auraient la faculté d’entrer successivement dans tous les ports de la Grande-Bretagne, et d’y détruire toutes les flottes militaires et marchandes. »

Il écrit à une époque, celle qui suit la chute de Napoléon en 1815, durant laquelle la Royal Navy n’a plus de rivale. Les autres puissances navales vont donc miser sur l’innovation pour combattre la domination des Britanniques sur les mers. Ce n’est donc pas un hasard si, tout au long du XIXe siècle, les Français et les Américains – qui avaient respectivement les deuxième et troisième marine du monde – seront les seuls à vouloir véritablement développer les nouvelles inventions dans le domaine naval. En 1841, le député François Bignon déclare ainsi que « si la France est condamnée, par son infériorité numérique en homme de mer, à reconnaitre qu’il existe une puissance qui peut armer plus de bâtiments à voiles que nous ne pouvons le faire, la différence peut disparaitre en lui opposant une autre force que le génie industriel de la France peut et doit créer. »

En 1850, la France lancera le premier vaisseau à hélice, le Napoléon, puis en 1859, le premier cuirassé de haute mer, la Gloire. Dans les deux cas, les Anglais ne feront que suivre, contraints. Une note de l’Amirauté britannique, datant de 1828, illustre parfaitement cette idée : « Leurs Seigneuries estiment qu’il est de leur devoir de repousser avec les pouvoirs qu’ils possèdent l’emploi de la vapeur sur les navires car ils considèrent que son introduction a pour but de porter un coup fatal à l’hégémonie maritime de l’Empire. » La situation ne fut pas différente avec le sous-marin. Ainsi la France mit en service son premier sous-marin, le Gymnote, conçu par les ingénieurs Henri Dupuy de Lôme et Gustave Zédé, en 1888, soit près de quinze ans avant l’Angleterre.

L’Angleterre suivit avec attention l’évolution des constructions françaises dans ce domaine. Lorsqu’elle constata, à la toute fin du XIXe siècle, que sa rivale avait fait des progrès sensibles dans ce domaine et qu’elle s’apprêtait à se constituer une flotte relativement importante de sous-marins, elle n’eut d’autre choix, une fois de plus, que de réagir. Elle fit alors appel à l’homme qui fournissait l’US Navy, un ingénieur américain d’origine irlandaise : John Philip Holland. Cinq Holland furent ainsi construits sous licence par la compagnie Vickers Maxim entre 1900 et 1902, à Barrow-in-Furness, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Ils n’étaient forcément pas les plus performants mais la Royal Navy sut s’en contenter pour pouvoir, dans un premier temps, évaluer les capacités de cette nouvelle arme et si possible trouver les moyens de se protéger contre elle (c’est ce que les Anglais appellent à l’époque « the antidote to submarines »), puis dans un second temps, lorsqu’elle se rendit compte de son potentiel, acquérir une certaine expérience qui lui permit bientôt de construire ses propres sous-marins : les classe A (treize unités construites entre 1902 et 1905), auxquels succédèrent les sous-marins de la classe B (onze unités entre 1904 et 1906), puis de la classe C (trente-huit unités entre 1906 et 1910), etc.

Le Holland 1 fut le premier sous-marin de l’histoire de la Royal Navy. Lancé en 1901, il fut perdu en 1913 alors qu’il était remorqué pour être conduit à la casse après son déclassement. Son épave fut récupérée en 1982 et est exposée depuis 1983 au Royal Navy Submarine Museum, à Gosport, sur la côte Sud de l’Angleterre.

A la veille de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne avait totalement rattrapé son retard sur les marines française et américaine. Elle disposait de la plus grande flotte sous-marine du monde, composée d’unités homogènes et efficaces, contrairement à la France qui n’avait cessé de construire des sous-marins d’une variété de types différents, en particulier à cause de la difficulté à construire des moteurs de grande puissance.

Remarquez que je n’ai ici jamais évoqué le cas de l’Allemagne qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, s’intéressa assez tardivement à l’arme sous-marine, le premier sous-marin allemand n’étant livré qu’en décembre 1906. On peut parfois lire, probablement à tort, que le grand amiral Tirpitz, à l’image des Anglais, ne souhaitait pas développer une arme susceptible de remettre en cause la supériorité de ses précieux et couteux cuirassés. En fait, comme les Anglais, les Allemands attendront que le sous-marin devienne une véritable arme de guerre, et non plus un engin d’expérience, pour se lancer dans la production de ce nouveau type de navire. Comme les Anglais, ils rattraperont rapidement leur retard et commenceront la Grande Guerre avec une flotte sous-marine constituée de très bons bâtiments. Et c’est déjà une autre histoire…

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