Napoléon et la mer : conférence de Michèle Battesti

Dans le cadre de l’exposition Napoléon et l’Europe organisée par le Musée de l’Armée (27 mars – 14 juillet 2013), Michèle Battesti – spécialiste de la marine du XIXe siècle notamment auteur d’une remarquable thèse universitaire à propos de la marine de Napoléon III – a tenu une conférence en mars dernier au sujet de Napoléon et la mer.

Résumé :

« Napoléon et la mer, c’est un sujet qui peut a priori surprendre, c’est quasiment un oxymore, une contradiction et il suffit de reprendre le bilan de l’Empire pour s’en convaincre. » Michèle Battesti souligne toutefois le fait que « lorsque Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir, il est le souverain européen à avoir le plus navigué. » L’auteur de l’ouvrage La bataille d’Aboukir 1798 – Nelson contrarie la stratégie de Bonaparte commence ainsi, naturellement, a parler de la première véritable expérience maritime de Napoléon, l’expédition d’Égypte, et évoque la désastreuse bataille perdue par la flotte française à Aboukir. Elle rappelle qu’au moment de la paix d’Amiens, « la marine de Louis XVI est détruite. Entre 1793 et 1802, la flotte a perdu 57 vaisseaux, 102 frégates et 138 navires de rangs inférieurs. Ces pertes sont loin d’être compensées par les constructions neuves. » Dés lors, l’une des priorités du Premier Consul est de reconstituer la marine. Pour autant, « Napoléon est conscient qu’il ne peut pas prétendre à la parité, à l’égalité avec la Royal Navy. Il le dit lui-même : ce serait une chimère, les dépenses considérables que cette prétention exigeraient compromettraient notre position continentale. C’est le problème de tous les décideurs en France. La France est un pays hybride, à dominante continentale avec deux superbes façades maritimes. Toute la question est de savoir quelle est la place de la marine dans la stratégie générale d’une puissance qui est à dominante continentale. » Malgré tout, l’effort est réel, de nombreux vaisseaux et frégates sont mis en construction dans les différents chantiers du pays. Cela ne suffit pas et à la reprise de la guerre avec l’Angleterre, force est de constater que la marine napoléonienne compte de nombreuses faiblesses : son organisation, son matériel, son artillerie, sa tactique. Michèle Battesti précise en outre que les 3/4 du corps des officiers de l’Ancien Régime ont émigré – au 1er janvier 1789, la Marine française compte 1700 officiers, après 1792 1200 d’entre eux environ ont quitté la France (chiffres de Michel Vergé-Franceschi) – et que les équipages manquent cruellement d’entrainement.

Pour définitivement régler le problème anglais, Napoléon n’a donc pas vraiment le choix, il prépare l’invasion de l’Angleterre. Commence alors l’incroyable histoire du camps de Boulogne et de la campagne navale de l’escadre de Villeneuve qui, se termine, comme nous le savons, à Trafalgar, « bataille qui n’aurait jamais dû avoir lieu, issue d’une décision absurde, prise par un homme cassé. » Absurde car perdue d’avance et parce que le 21 octobre 1805, jour de la bataille, la Grande Armée a quitté Boulogne depuis bien longtemps et se trouve en Allemagne, à Ulm. On notera que contrairement à ce que l’on peut lire parfois, Michèle Battesti ne pense pas que la bataille de Trafalgar est véritablement décisive : « non, Trafalgar n’annonce pas Waterloo et la défaite finale de Napoléon, il y aura l’Espagne, il y aura la Russie ». Elle contredit également une autre idée reçue, fort répandue encore aujourd’hui, consistant à dire que Napoléon, après Trafalgar, se désintéresse totalement de la marine, et se contente de la guerre de course et du fameux Blocus continental. Il n’y a rien de plus faux ! L’Empereur veut une grande marine ! Dés 1806, « Napoléon va préparer la revanche, contrairement à ce que l’on a pu dire, il n’a pas renoncer à la marine après Trafalgar. Il achève sa refonte administrative, il va rajeunir les cadres, il va recruter dans les classes moyennes, il va créer des écoles établies en 1810 à Brest et Toulon. Il va également amariner des terriens et introduire des soldats dans les vaisseaux, que l’on va appeler les Bataillons de la marine impériale puis Équipages de haut-bord, organisation qui fut beaucoup critiquée à l’époque mais que l’on gardera bien après lui. » Il va accroitre la façade maritime de la France, au Nord de l’Europe et sur les côtes d’Illyrie, où il va multiplier les infrastructures portuaires et les arsenaux, à Anvers, à Gênes, à Trieste, à Venise. En 1814, la Marine française est quantitativement au niveau de celle de 1789, résultat véritablement exceptionnelle en temps de guerre ! Malheureusement, la qualité ne suit pas. Les bois utilisés pour la construction sont de « fraîche coupe », ils pourrissent plus facilement, et la construction navale souffre d’un retard technique certain dû aux vingt ans d’isolement de la France. En 1814, malgré les énormes efforts fournis, la Marine française impériale ne semble toujours pas pouvoir rivaliser avec la Royal Navy.

Et Michèle Battesti conclut : « Napoléon est finalement un héritier. Héritier d’une marine délabrée. Héritier d’une rivalité avec l’Angleterre, dans le cadre de ce que l’on a appelé une deuxième guerre de cent ans qui a commencé au XVIIe siècle. Il a voulu remporter cette guerre en dressant le continent contre la puissance maritime britannique, ce qui va lui coûter, et ses colonies, et son empire. Il a malgré tout eu le mérite de ne pas s’avouer vaincu et face à l’archétype de la puissance maritime, protégée par son insularité, par ses murailles en bois, qui portaient ses frontières aux rivages de l’ennemi, il a essayé, il a réussi un rétablissement naval, il a employé un budget constant pour la marine, le deuxième budget de l’État, 140 millions par an – c’est à comparer aux 40 millions que mettra la Restauration – trois fois moins que le budget de la Royal Navy. Il s’est retrouvé dans une guerre qu’il ne pouvait pas gagner. Mais il a posé les bases de la marine moderne car, si la Restauration supprimera toutes les créations et les institutions créées par Napoléon, on s’apercevra que toutes seront rétablies vingt ans plus tard parce que, finalement, on finira bien par admettre que c’étaient de très bonnes mesures. Faute de faits glorieux, l’Histoire ne retiendra que le passif : Trafalgar… »

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Napoléon et la merA noter que le thème « Napoléon et la mer » avait fait l’objet en mars-août 2004 d’une très belle exposition au Musée national de la Marine, organisée dans le cadre des commémorations du bicentenaire du sacre de Napoléon. Un ouvrage collectif avait à cette occasion été publié : Napoléon et la mer, un rêve d’Empire qui sous la direction de Jean-Marcel Humbert et Bruno Ponsonnet présentait une trentaine d’articles de deux à dix pages écrits par les meilleurs historiens et spécialistes du sujet, dont Michèle Battesti. Très illustré, complet et accessible, c’est un livre que je conseille.

Je ne peux m’empêcher de citer également, à propos de la marine de Napoléon, les ouvrages suivants : Trafalgar – Les Aléas De La Stratégie Navale De Napoléon et La Bataille D’aboukir 1798 – Nelson Contrarie La Stratégie De Bonaparte, déjà cité, de Michèle Battesti ; Trafalgar de Rémi Monaque ; La Marine Impériale – Le Grand Rêve De Napoléon de Jean-Claude Gillet ; Les marins de Napoléon d’Auguste Thomazi ; Napoléon et la marine de Philippe Masson.

Bonne lecture !

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