En 1822, le baron Tupinier publia un rapport intitulé Observations sur les dimensions des Vaisseaux et Frégates de la Marine française. Ce texte particulièrement important fut publié dans les Annales Maritimes et Coloniales, volume 2, de l’année 1822.
Un court extrait de ce rapport (p.44 et 45) m’a notamment intéressé :
« En 1811, la frégate la Constitution, appartenant aux États-Unis d’Amérique, vint à Cherbourg ; son armement, son installation et son gréement furent examinés et décrits par une commission dont M. le duc Decrès, alors ministre de la marine, renvoya le travail au conseil des constructions navales, avec l’ordre d’en faire l’objet de ses discussions.
Ce conseil fit un rapport dans lequel il est dit, « que la frégate américaine n’avait sur la frégate française l’Iphigénie de 44 canons [frégate de 18 mise en chantier à Cherbourg en 1809, lancée en 1810], d’autres avantages que la supériorité de son artillerie ; que son installation et son gréement ne présentaient rien de nouveau ; que cette espèce de bâtiment paraissait la plus propre à des croisières ou à une grande mission ; que la France avait possédé la Forte, armées de canons de 24, dont les qualités étaient excellentes, mais qu’on avait abandonné ce genre de construction dans nos ports par un motif d’économie. »
Le jugement que l’amiral Decrès porta sur cette affaire est très remarquable. En voici l’extrait :
« Vous dites que c’est l’économie qui a fait renoncer aux frégates de 24 : c’est s’exprimer d’une manière trop générale. Faut-il les mêmes bois que pour un vaisseau ? S’il ne le faut pas, il n’y a pas d’économie raisonnable à réduire à l’échantillon d’une frégate de 18, des bois qui ne seraient pas propres à un vaisseau. L’économie des bois est la seule à considérer en parlant supérieurement de l’administration des constructions ; car, quant aux autres matières, c’est comme si l’on disait qu’il y a économie à mettre des canons de 18 au lieu de ceux de 24.
Or, c’est bien une moindre dépense, mais ce n’est pas une économie : l’économie proprement dite est ce qui donne les mêmes résultats avec une dépense moindre ; et ici les résultats sont différents. »
Constatant le succès des grandes frégates américaines face aux navires britanniques durant la guerre de 1812, Napoléon alors à Dresde signa le 8 août 1813 le décret suivant :
« Article premier. Il sera mis sur-le-champ en construction sur chacun de nos chantiers de Rochefort, de Cherbourg et de Toulon, une frégate du modèle des frégates américaines.
Article deux. Les travaux seront poussés de manière à pouvoir être terminés avant le mois de juin prochain pour que les trois frégates soient mises à l’eau à cette époque. »
Ordonnées huit mois seulement avant la première abdication de Napoléon et la chute du régime, ces frégates ne furent jamais mises en chantier.
La France recommencera toutefois à construire des frégates de 24 au début de la Restauration et durant les années 1820. Et c’est déjà une autre histoire…
______________________________________________________________________
Sur le même sujet : Napoléon voulait des frégates de 24 !
Pour continuer l’histoire, l’USS Constitution est toujours visible dans le port de Boston et fait toujours des sorties en mer.
En tout cas c’est un article très intéressant et on peut constater que Napoléon lui avait bien vu l’intérêt de ses frégates, dommage qu’il n’ait pas eu le temps de réaliser ces bâtiments.
La France lança douze frégates à canons de 24 entre 1794 et 1815. Six furent prises par les Anglais : la Vengeance, prise par la Seine (frégate de 18 qui était elle-même une prise de la Royal Navy à notre marine) ; la Résistance, jumelle de la Vengeance, fut prise par une frégate de 18 et une frégate de 12 (et une corvette aussi, semble-t-il), toutes deux prises à la France ; la Forte fut prise par la Sibylle, frégate de 18 elle aussi prise à la France ; l’Égyptienne, jumelle de la Forte, fut prise au mouillage à Alexandrie ; l’Immortalité fut prise par la Résistance (renommée la Fisgard par la Royal Navy) ; enfin la Désirée fut prise par le Dart, jaugeant 148 tonneaux anglais (à peine 420 ㎥) quand notre frégate dépassait 1000 tonneaux.
La Vengeance avait affronté en 1799 la Constellation, frégate elle aussi à pièces de 24 de la marine des États-Unis plus grande mais un peu moins fortement armée, et si La Vengeance avait bien résisté, elle avait été battue en fait.
Les États-Unis remportèrent contre la Royal Navy de remarquables succès avec leurs frégates de 24.
Caractéristiques comparées d’une frégate de 18 (classe de l’Hortense de 1803, de Jacques-Noël Sané) et d’une frégate de 24 (la Forte de 1794, de François Caro) :
– L’Hortense
Dimensions ⑴ : 46,777 m × 11,911 m × 6,172 m
Déplacement ⑴ : 1367t
Jauge ⑶ : 1080 tonneaux (environ 3060 ㎥ de cale)
Équipage ⑴ : 320 hommes
Bordée des canons ⑴ : 147 ㎏
– La Forte
Dimensions ⑵ : 51,974 m × 12,994 m × 7,000 m
Déplacement ⑵ : 2051t
Jauge ⑶ : 1401 tonneaux (environ 3970 ㎥ de cale)
Équipage ⑵ : 450 hommes
Bordée des canons ⑵ : 215 ㎏
⑴ É. Burgues de Missiessy, Moyen de procurer aux vaisseaux des qualités toujours les mêmes …, 1803.
⑵ Amiral Pâris, Atlas du génie maritime, planche 14.
⑶ N’étant pas estimées dans les autres marines de guerre, les jauges viennent de sources anglaises, et sont donc en tonneaux anglais ; leur calcul était théorique et ne tenait compte que des dimensions générales.