Les bâtiments de l’École navale au XIXe siècle

Au XIXe siècle, deux systèmes différents ont été pratiqués en France concernant la formation des futurs officiers de marine, celui de la séparation totale des études théoriques et des études pratiques, et celui au contraire de la fusion complète de ces études. Le premier fut symbolisé par le Collège de marine d’Angoulême, créé en 1816 sous la Restauration. Bien que le collège eut quelques partisans, il fut grandement et durablement critiqué, puis finalement supprimé en 1830, au début de la Monarchie de Juillet, au profit du second système, représenté par l’École navale installée à Brest sur le vaisseau l’Orion puis le Borda. L’École navale fut certainement inspirée des Écoles spéciales de marine créées par Napoléon en 1810.

Bien que l’École navale soit bien connue des personnes au courant des choses de la marine, l’histoire des navires qui ont accueilli cette institution est souvent occultée.

  • Le Tourville et le Duquesne 1810 – 1816

Créées par décret du 27 septembre 1810, les Écoles spéciales de marine chargées de former les futurs officiers de la marine impériale sont installées sur le Tourville à Brest et le Duquesne à Toulon. Pour la première fois en France, ce type d’école est embarqué dans ce que l’on appelle des vaisseaux-écoles ou écoles flottantes, spécialement aménagés pour recevoir les élèves.

Le Tourville est un vieux vaisseau de 74 canons espagnol, le San Genaro, lancé à Carthagène en 1765. Faisant partie de la liste des vaisseaux espagnols cédés à la France au début des années 1800, il est incorporé dans la Marine française en 1801 sous le nom de Saint Génard. En 1803, il est renommé l’Ulysse. Devenu école flottante en 1810, il est définitivement renommé le Tourville à cette occasion.

Le Duquesne est quant à lui un ancien 74 canons russe, le Moskva (Москва, Moscou), qui, en mauvais état, s’était rendu avec un autre vaisseau de 74 russe, le Sviatoi Piotr (Святой Пётр, Saint-Pierre), à Toulon en 1808 pour réparer en toute sécurité (rappelons que la France et la Russie étaient à l’époque alliées suite au traité de Tilsit de 1807). Incapables de reprendre la mer les deux bâtiments avaient finalement été désarmés et cédés à la France en 1809.

Les Écoles spéciales de marine n’eurent pas le temps de prouver ou pas leur efficacité. Elles furent supprimées, nous l’avons vu, au début de la Restauration au profit du Collège royal de marine d’Angoulême, école à terre.

L’amiral Armand Joseph Bruat, héros de la guerre de Crimée (1855), fit partie à l’âge de 15 ans de la première promotion (1811) embarquée sur le vaisseau-école le Tourville à Brest.

  • L’Orion 1827 – 1840

En décembre 1830, le collège d’Angoulême, créé au début de la Restauration et sans cesse critiqué, est supprimé. Le navire école l’Orion – vaisseau deux-ponts de type 74 canons mis en construction à Brest en mai 1810 et lancé à la fin de l’année 1813 – organisé en 1827 pour accueillir les élèves de 2e classe de la marine, devient dés lors officiellement « École navale ». Les conditions de vie à bord de l’Orion se révèlent vite particulièrement difficiles. Le prince de Joinville, qui visite le vaisseau en 1835 et en 1838, qualifie l’école de « prison flottante » comparable selon lui aux pontons où les Anglais enfermaient leurs prisonniers pendant les guerres napoléoniennes. On notera que l’un des reproches qui était fait au collège d’Angoulême était au contraire d’être trop « douillet » pour les élèves.

Devenu trop petit pour accueillir les élèves de plus en plus nombreux, l’Orion est remplacé en 1840 par le Commerce (ex-le Commerce de Paris), renommé le Borda pour l’occasion, trois-points rasé d’une batterie, sensiblement plus grand que le 74 canons. L’Orion est finalement condamné en 1841.

L’Orion était un vaisseau de 74 canons de type Sané (adopté en 1782) tel que celui représenté ci-dessus. D’une longueur de 55,5 mètres (172 x 44.6 x 22 pieds), il était plus petit que le 110 canons le Commerce de Paris, qui mesurait 60,5 mètres (196.6 x 50 x 25 pieds).

  • Le Borda (ex-le Commerce) 1840 – 1864

Vaisseau à trois-ponts de type 110 canons mis en chantier en décembre 1804 d’après les plans de Jacques-Noël Sané, sa construction est financée grâce au don de la Chambre de commerce de Paris, qui le 27 mai 1803 décide effectivement d’offrir au gouvernement un vaisseau de premier rang. C’est pour cette raison que, baptisé dans un premier temps (le 7 novembre 1804) la Ville de Paris, le bâtiment est très vite renommé, le 21 novembre 1804, le Commerce de Paris. Celui-ci est lancé le 8 août 1806.

Vaisseau amiral du commandant de l’escadre de Toulon, le vice-amiral Ganteaume, le Commerce de Paris participe en février 1808 à l’importante opération navale visant à ravitailler Corfou, restituée aux Français par les Russes par le traité de Tilsit (juillet 1807), et dés lors menacée par les Anglais. L’opération – les escadres combinées de Toulon et de Rochefort doivent diriger un important convoi vers Corfou – est un succès mais le 110 canons est fortement endommagé par un fort coup de vent dans le détroit de Sicile. A demi-démâté, le trois-ponts est remorqué jusqu’à Corfou ; il rentrera finalement à Toulon en avril 1808. Il s’agit là de la seule action notable du Commerce de Paris à l’époque impériale. Il faut dire que la carrière du vaisseau durant cette période est relativement calme, à l’image de l’ensemble des trois-ponts français qui restent à l’abri dans les ports et n’effectuent avec leur escadre que quelques rares sorties, toujours en évitant le combat. Au début de la Première Restauration, le Commerce de Paris, accompagné des 118 canons l’Austerlitz et le Wagram, quittent Toulon pour Brest, où ils sont désarmés en décembre 1814. Il semble dés lors que le vaisseau soit resté inactif.

Le 9 août 1830, il est rebaptisé le Commerce, probablement pour éviter toute confusion avec le 118 canons la Ville de Paris. Le 18 décembre 1839, très peu de temps après qu’on lui ait rasé sa batterie haute, il est une nouvelle fois rebaptisé et prend le nom de Borda, juste avant de remplacer officiellement l’Orion comme bâtiment de l’École Navale. L’installation sur ce vaisseau plus grand permet d’améliorer sensiblement les conditions de vie à bord et de doubler le nombre de professeurs (six de sciences, deux de littérature, deux d’anglais, deux de dessin) ainsi que d’augmenter l’état-major.

Le 10 août 1863, après plus de vingt ans au service de l’École Navale, le vaisseau est remplacé par le Valmy et est renommé le Vulcain, pour servir comme bâtiment central de la réserve jusqu’en 1884, année durant laquelle il est condamné. Il est démoli l’année suivante à Brest.

Le Borda (ex-le Commerce de Paris) rasé d’une batterie.

  • Le Borda (ex-le Valmy) 1864 – 1890

Vaisseau de 120 canons mis en chantier à Brest en 1837, il est initialement nommé le Formidable, puis le Valmy quelques mois seulement après le début de sa construction. Premier vaisseau à trois-ponts mis en construction par la Marine française depuis le Premier Empire et les 118 canons de Sané, il est le plus grand vaisseaux de guerre à voiles français jamais réalisé. Les plans sont de l’ingénieur Leroux, gendre du fameux J.-N. Sané. Sa construction s’avère longue et difficile ; il est finalement lancé bien tardivement, le 25 septembre 1847. Lors de ses essais effectués en 1849, on s’aperçoit que ses qualités sont médiocres. En vérité, le vaisseau est relativement manqué, il est d’ailleurs soufflé* afin de remédier à sa hauteur de batterie jugée bien trop faible. Il s’illustre malgré tout en Crimée en 1854-1855, au sein de la première escadre évoluant en mer Noire, où il participe notamment au bombardement de Sébastopol le 17 octobre 1854, durant lequel le vaisseau est touché par des boulets russes (on compte 4 tués et 30 blessés à bord).

La guerre de Crimée marque la supériorité définitive des vaisseaux mixtes sur les anciens vaisseaux. Dés lors, c’est la fin de la marine de guerre à voiles en France : « à dater du 1er janvier 1858, un navire à voiles, quel que pût être le nombre de ses canons, cesse d’être considéré comme un navire de guerre. » Quelques années seulement après son lancement, le Valmy est déjà considéré comme obsolète ! En conséquence, le vaisseau est mis en réserve à Toulon, où il reste désarmé. Très logiquement, on pense à lui pour remplacer l’ex-Commerce de Paris comme vaisseau-école.

L’École navale est officiellement transférée sur le Valmy, renommé pour l’occasion, comme son prédécesseur, le Borda, le 1er octobre 1864. La remarquable grandeur du bâtiment et ses trois ponts permettent d’améliorer considérablement les installations de l’École navale, organisées dés lors de façon plus rationnelle, permettant ainsi un accroissement important de l’hygiène et du confort à bord. Bien que toujours difficile, la vie sur le Borda n’est plus aussi dure que sur l’Orion et le Commerce de Paris. A noter un fait amusant : la présence dans l’amphithéâtre des « fistots » (surnom donné aux premières années) d’un boulet russe reçu devant Sébastopol.

* Soufflage de la coque : « Procédé très élémentaire qui consiste à augmenter le volume de la coque à hauteur de flottaison, en appliquant, sur le bordage d’origine, des taquets, et sur ceux-ci, un autre bordage. On obtenait ainsi un renflement plus ou moins important de la carène. Le soufflage est le propre d’un bâtiment manqué. » (Jean Boudriot, Le vaisseau trois ponts l’Océan 1785-1855, revue Neptunia n°102.)

Le Borda (ex-le Valmy) entre son annexe le Bougainville (au premier plan) et la Bretagne, vaisseau-école des apprentis marins.

  • Le Borda (ex-l’Intrépide) 1890 – 1913

L’Intrépide est un vaisseau à hélice de 90 canons de type Napoléon-Algésiras, construit selon les plans de Dupuy de Lôme. Mis en chantier à Rochefort le 2 septembre 1853, sa construction est si longue que le vaisseau est totalement dépassé avant même son lancement. On décide donc de le transformer sur cale en transport en 1863-64, et on lui ajoute un troisième pont (les vaisseaux de 90 canons type Napoléon sont des deux-ponts). Lancé le 17 septembre 1864, il participe en 1866-1867, sous le commandement du capitaine de vaisseau Claude Gennet, au rapatriement du corps expéditionnaire du Mexique puis à la conquête de Sfax (Tunisie) ; à la suite de quoi il est envoyé à Toulon où il est mis en réserve et sert de caserne. Il devient le Borda (en remplacement du Valmy) en 1890.

En 1913, il est remplacé par le Duguay-Trouin, qui conserva son nom (et ne fut donc pas renommé le Borda contrairement à ses trois prédécesseurs) en dépit de son affectation à l’École navale. Ce fut le dernier car, la guerre venue, la Marine mit en place à terre une formation accélérée. Dés lors, jamais plus l’École navale ne sera flottante… Voir le billet Brève histoire de l’École navale.

L’Intrépide fut le dernier Borda.

Sources :
– Battesti, Michèle, La marine de Napoléon III.
– Boudriot, Jean. Les vaisseaux de 74 à 120 canons.
– Roche, Jean-Michel. Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours.

Site intéressant : http://ecole.nav.traditions.free.fr/ecoles_borda.htm

3 réflexions sur “Les bâtiments de l’École navale au XIXe siècle

  1. Et merci à vous pour votre commentaire et vos travaux très intéressant sur l’École navale ! Faute de pouvoir y entrer je me suis lancé dans la rédaction d’une série d’articles sur le sujet.

  2. Merci pour ce magnifique site plein de bonnes informations a ce sujet !

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