En octobre 1775, six mois après le début de la Guerre d’Indépendance américaine, le Continental Congress réuni à Philadelphie, désireux de doter la jeune république américaine d’une marine de guerre, forme le Naval Commitee et le charge de créer et de développer la Continental Navy, ancêtre si l’on peut dire de la fameuse US Navy. Composé de trois puis de sept membres, ce comité devient en décembre de la même année le Marine Commitee, ses attributions étant étendues à l’ensemble des affaires maritimes.
La mission du Marine Commitee est loin d’être simple. Il peut toutefois s’appuyer sur l’expérience des chantiers de construction de la côte atlantique qui, depuis un siècle, construisent des navires pour la marine anglaise, notamment marchande, ainsi que sur les marins et officiers qui ont jusqu’alors servi dans la flotte de Sa Majesté. Parmi eux se trouve le jeune lieutenant de vaisseau John Paul Jones, qui sut résumer une évidence en une formule restée célèbre : « Without a respectable Navy, alas America ! »
Pour constituer cette « respectable Navy », les membres du comité vont très naturellement s’inspirer de l’organisation de la Royal Navy, qu’ils connaissent bien. En matière de construction navale, pourtant, ils s’inspirent davantage des navires français, qui ont généralement meilleures réputations que leurs homologues anglais. Citons par exemple, pour illustrer cette idée, l’amiral Alfred Mahan, qui écrira en 1890 : « Nous pouvons admettre comme généralement vrai que les vaisseaux construits en France, entre 1740 et 1800, sont supérieurs aux navires anglais de même rang par leurs formes et leurs dimensions. »
En quelques mois seulement, de nombreuses frégates, corvettes, bricks et autres goélettes sont mises en chantier. Se pose rapidement la question de la construction de vaisseaux de ligne, principale force de toute marine de guerre digne de ce nom. La construction et l’armement de tels bâtiments constituent un investissement financier considérable, probablement trop important pour la jeune république aux moyens encore limités.
Le 9 novembre 1776, pourtant, le Congrès autorise la construction de trois vaisseaux de 74 canons, vaisseau type de la Guerre d’Indépendance. A cette époque en effet, toutes les grandes marines possèdent un nombre important de 74 canons, type de vaisseau apparu en France à la moitié du XVIIIe siècle et rapidement copié par les différentes marines européennes. Un seul vaisseau, nommé America, est finalement mis en chantier, en mai 1777, dans les chantiers de Portsmouth, New Hampshire. Sa construction durera cinq longues années, il sera le premier grand vaisseau de guerre de l’histoire de la marine américaine.
Il est généralement admis que les plans de l’América sont de William Hackett, qui se serait inspiré des 74 canons français, réputés comme étant les meilleurs de l’époque. Les dimensions du vaisseau sont ainsi assez comparables aux vaisseaux français, même si Hackett lui a donné des lignes plus fines afin de le rendre plus rapide.
Sans cesse retardée faute de financement et d’ouvriers qualifiés, la construction de l’America est particulièrement lente. On envisage d’ailleurs pendant un temps de le transformer sur cale en un vaisseau rasé de 54 canons (pratique consistant à raser le pont supérieur du navire), sans suite grâce à l’intervention de son futur commandant désigné, le capitaine de vaisseau John Barry.
John Barry nommé commandant de la frégate Alliance en septembre 1780, John Paul Jones est désigné futur commandant du vaisseau. Envoyé à Portsmouth en août 1781 pour superviser l’achèvement du bâtiment, celui-ci s’efforce d’accélérer les travaux. En conséquence, la construction avance sensiblement, pas assez cependant pour pouvoir être terminé avant la fin du conflit.
Car en effet, la fin de la guerre est proche, et le 3 septembre 1782, deux mois seulement avant le lancement du vaisseau et la signature des préliminaires de paix à Paris, le Congrès américain décide finalement d’offrir l’America à la France, en remplacement du vaisseau le Magnifique, détruit à l’entrée du port de Boston le 15 août précèdent. Cette décision est à la fois politique et économique. Politique car le présent symbolise la reconnaissance de la jeune nation américaine à l’égard de la France. Économique car, avec le retour de la paix, le Congrès devine très justement qu’il n’aura pas les moyens d’entretenir un navire aussi coûteux.
Le 5 novembre 1782, le chevalier de Martigne, ancien commandant du Magnifique, reçoit au nom de la France l’America, qui vient tout juste d’être lancé. Le vaisseau quitte Portsmouth le 24 juin 1783 et arrive à Brest le 16 juillet.
Les Français se rendent rapidement compte que l’America est en vérité un vaisseau raté. Ayant des formes beaucoup trop fines pour supporter le poids des canons, son artillerie est très limitée : 30 canons de 18 livres dans la batterie basse, 32 de 12 dans la batterie haute, et une dizaine de 8 sur les gaillards (alors que les 74 canons français portaient du 36 dans leur première batterie et du 18 dans leur seconde). Le bois utilisé dans sa construction semble en outre avoir été de mauvaises qualités. En 1786, une inspection révèle que les fonds du vaisseau sont complètement pourris. Il est par conséquent retiré du service et démoli peu après.
En 1787, la France construit un nouveau America, symbole de l’amitié franco-américaine, à Brest. Le vaisseau est lancé le 21 mai 1788 et présente les caractéristiques classiques d’un 74 canons type Sané. Il est pris par les Anglais le 1er juin 1794, lors de la bataille du 13 Prairial (capitaine de vaisseau Lhéritier). Intégré dans la Royal Navy sous le nom d’Impetueux (il y a déjà un HMS America en service dans la marine britannique à cette époque), il sera démoli en 1813.
Aucun navire de la Marine française ne portera plus le nom d’America après lui.
Sources :
– Bonnel, Ulane. Les débuts de la Marine de guerre américaine ou le modèle européen outre-Atlantique.
– Piouffre, Gérard. Naissance de la marine américaine.
– Roche, Jean-Michel. Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours.
– http://www.history.navy.mil
Toujours passionnant ! =)
Effectivement toujours aussi passionnant, as tu pu retrouver des gravures de ses décorations ? cela serai on ne peut plus intéressant de voir la manière dont ils définissent leur identité à travers cela. Étant en plus leur premier navire de ce type la symbolique est d’autant plus passionnante.
Merci à tous les deux. Non, je n’ai malheureusement aucune idée des décorations de ce vaisseau. Je n’ai utilisé que des sources secondaires pour rédiger ce billet.