Le lancement du Valmy vu par la presse (1847)

« Mise à l’eau du vaisseau à trois ponts le Valmy, construit dans le port de Brest sur les plans de M. Leroux. D’après un croquis de M. Copillet. » Extrait de L’Illustration, Journal Universel, N° 240, 2 octobre 1847

Le 9 février 1847, le journal Le Constitutionnel annonce la mise à l’eau prochaine d’un vaisseau de 120 canons à Brest :

« Cinq navires doivent être lancés en 1847, au port de Brest, savoir : le vaisseau de 100 canons le Tage, les frégates la Persévérante, de 60 canons, la Némésis, de 50 canons, le brick de premier rang le Faune, la frégate-aviso à vapeur le Caffarelli. […] En tête de cette liste devrait être le vaisseau de 120 canons le Valmy, le seul vaisseau de ce rang construit sur des plans qui ne datent pas du dernier siècle, le seul par conséquent où tout ait été calculé d’après les nécessités de l’armement actuel de nos navires, qui est bien différent de l’armement des vaisseaux en 1790 […] »

Fait étonnant souligné par le journaliste : au milieu du XIXe siècle, tous les vaisseaux de premier rang français construits depuis la fin de l’Ancien Régime sont issus du plan-type du 118 canons réalisé par les ingénieurs Sané et Borda à la veille de la Révolution française de 1789, si l’on excepte le cas particulier des deux vaisseaux de 110 canons construits sous l’Empire. Le lancement du Valmy attire donc la curiosité des contemporains, d’autant qu’il s’agit alors du plus grand vaisseau jamais construit par la France.

Cet important événement, qui eut lieu le 25 septembre 1847, fut rapporté par le journal les deux derniers jours du même mois…

Extrait du journal Le Constitutionnel, le 29 septembre 1847 :

« On nous écrit de Brest, le 25 septembre au soir :

Nous venons d’être témoins du lancement du superbe vaisseau à trois ponts le Valmy, de 120 canons, le plus fort qui ait été construit à Brest et dans aucun port de France. M. Leroux en fit adopter le plan il y a douze ans. Il en commença et en poursuivit l’exécution jusqu’à ce qu’il fut envoyé au port de Toulon, dans le grade de chef des constructions navales. Les travaux moins actifs, ont été dirigés en son absence par M. l’ingénieur Lejouteux, et terminés sous l’autorité de M. Leroux depuis qu’il est revenu à Brest, pour y occuper l’emploi pareil à celui qu’il avait à Toulon. Cet habile constructeur a hérité des talents de M. le baron Sané, aïeul de sa femme, fille de M. le baron Larue de la Greadière, capitaine de vaisseau.

On attendait avec impatience la mise à l’eau du Valmy, et quand l’époque en fut déterminée, toute la population de Brest et des environs se disposa à y assister. Les familles étrangères s’y trouvaient en nombre d’autant plus considérable, que cette époque concordait avec celle de l’entrée prochaine à l’école navale de leurs enfants, qu’elles ont accompagnés.

La marine a déployé tout son luxe de décors pour cette fête maritime. On sait avec quel art, quel goût les marins savent transformer un navire en salle de bal. Ici, il s’agissait tout simplement de dresser les gradins, et ils étaient de la plus grande élégance ; mais il n’y avait pas la place pour tout le monde, car on n’avait jamais vu une affluence aussi considérable de curieux des deux sexes et de tous les âges. Les grilles et toutes les autres entrées du port ont été ouvertes à une heure de l’après-midi, et en un instant ce grand établissement était envahi par une foule immense. Outre la multitude qui couvrait les quais dans l’intérieur, les bâtiments amarrés dans les stations voisines, et qui remplissaient une grande quantité de canots ; tous les points, en un mot, o l’on pouvait gravir les hauteurs en dehors de Brest et de Recouvrance, d’où l’œil plongeait sur les cales de construction, laissaient apercevoir d’innombrables spectateurs.

A deux heures, les opérations ont commencé par l’enlèvement d’une partie des acores au appuis soutenant les deux flancs du vaisseau. A deux heures et demie, un nombreux clergé et venu, suivant l’usage, lui donner la bénédiction, qu’on appelle le baptême. L’enlèvement des acores a ensuite été continué individuellement à chaque bord par l’ordre de M. Lejouteux, signalé par un son de tambour, exécuté par des ouvriers intelligents et vigoureux, avec une régularité et un ensemble admirables. Enfin, à trois heures quarante minutes, le Valmy, dégagé de toute entrave, s’est doucement ébranlé, et glissant avec une tranquille majesté sur sa quille, au bruit des musiques des troupes de l’artillerie de la marine et du 23e de ligne, aux acclamations et aux applaudissements des spectateurs livrés à l’enthousiasme, est allé s’asseoir au milieu des flots de la mer. Déviant un peu sur la gauche de la ligne calculée pour arriver à la drome qui devait arrêter son air, il a froissé dans sa course un pan de mure, mais il est revenu aussitôt dans la véritable direction. Le seul accident arrivé et qui n’a été qu’un sujet de risée pour des témoins peu galants, est résulté du déplacement de la masse d’eau qui a reflué sur le quai, et a mouillé les chaussures et les robes des dames curieuses qui s’étaient trop approchées du rivage. »

Extrait du journal Le Constitutionnel, le 30 septembre 1847 :

« On nous écrit de Brest, le 26 septembre :

Hier, au soir, après la mise à l’eau du Valmy, aujourd’hui encore, il est arrivé de nombreux curieux, désirant assister à ce beau spectacle. Il arrivera probablement de nouveaux étrangers demain et après-demain, mus par le même désir. Leur erreur viendra de ce que la Flotte qui, en sa qualité de journal spécial de la marine et en quelque sorte de Moniteur de ce département, avait annoncé le lancement du Valmy pour le 28, tandis que l’opération a eu lieu trois jours plus tôt. Mais il n’est pas trop tard pour ceux qui y ont assisté, de faire quelques observations sur ce qui s’est passé à cette occasion.

On s’est étonné de ne pas lire en entrant dans l’arsenal, une consigne relative à la marche des embarcations ; rien n’indiquait aux différentes autorités l’emplacement à occuper par elles. Aucun appareil militaire, pas même de factionnaires en  tête des cales, pour préserver les curieux de leur propre imprudence, et l’absence de cette précaution a failli coûter cher à huit ou dix personnes que la mer, soulevée par l’immersion du Valmy, eut entrainés sans le secours des matelots toujours aussi humains qu’intrépides.

L’opération du lancement s’est effectuée avec la régularité qui distingue le service du génie maritime ; mais nul personnage éminent n’a daigné assister au succès ni récompenser par un éloge officiel, les ingénieurs qui n’ont eu que des approbations moins éclatantes, mais sincères.

Mais en revanche, on a remarqué un luxe de précautions gothiques prescrites par les vieilles ordonnances. Les aumôniers de la marine ont officié. Mais ces précautions ne concernaient pas les forcats qui, ce jour là, jouissaient d’une liberté relative. Bien plus, dans quelques canots les hommes préposés au passage d’une rive à l’autre, donnaient la main aux dames.

Pour en revenir au Valmy, c’est la plus belle machine de guerre qui existe en Europe et la plus forte batterie flottante mise à la mer. Le nombre de canons n’est pas supérieur à celui que portent les vaisseaux anglais de l’escadre de l’amiral Napier, Caledonia, Trafalgar et Saint-Vincent, mais la hauteur de la batterie basse au-dessus de la ligne de flottaison permettrait d’ouvrir les sabords du Valmy quand ceux des vaisseaux anglais se fermeraient, pour peu que la lame se fit sentir. »

Malgré des qualités jugées médiocres, le Valmy s’illustrera en Crimée en 1854-1855, au sein de la première escadre évoluant en mer Noire, où il participa notamment au bombardement de Sébastopol le 17 octobre 1854.

Rapidement dépassé par l’arrivée des vaisseaux à vapeurs et des premiers cuirassés, il fut transformé en vaisseau-école afin d’accueillir l’École navale (école des futurs officiers de la marine), fonction qu’il occupera de 1864 à 1890.

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