Histoire d’une peinture marine russe

Magnifique toile datant de 1892, signée Ivan Aivazovsky, peintre russe du XIXe siècle dont j’apprécie particulièrement les œuvres. Elle représente un célèbre combat de l’histoire de la marine russe, celui du brick Merkourii (Меркурий, Mercure) s’opposant seul, et avec succès, à deux grands vaisseaux de la marine ottomane, dont un trois-ponts, le 14 mai 1829…


Le Merkourii était un petit brick, de 29 mètres de long environ, mis en chantier à Sébastopol le 28 janvier 1819 et lancé le 7 mai 1820. Portant 18 caronades de 24 et pourvu d’un équipage de 110 hommes, il était spécialement conçu pour pouvoir patrouiller et garder la côte caucasienne de la Mer Noire, afin de lutter contre la contrebande assez importante dans ce secteur à l’époque. Cette mission particulière expliquait le faible tirant d’eau du navire, qui avait pour conséquence sa faible vitesse, que l’on compensa très partiellement en l’équipant de rames (sept de chaque coté).


Durant les derniers mois de la guerre russo-turque de 1828-1829, le 14 mai 1829, le Merkourii, accompagné de la frégate Shtandart (Штандарт, Étendard, du nom de la frégate du tsar Pierre le Grand, premier navire de la flotte de la Baltique en 1703) et du brick Orfey (Орфей, Orphée), croisent à la sortie du détroit du Bosphore et aperçoivent au loin une escadre turque composée de plusieurs vaisseaux se dirigeant sur eux. De force bien inférieure, les trois navires n’ont d’autre choix que de fuir. Mais, tandis que le Shtandart et l’Orfey forcent de voile pour rallier la flotte russe, le Merkourii, mauvais marcheur, reste en arrière. Deux vaisseaux turcs – un trois-ponts de 120 canons, le Selimiye, et un deux-ponts de 74 canons, le Real Bey – se détachent de l’escadre pour le prendre en chasse. (A noter que le Selimiye a été construit par l’ingénieur français Jacques Brun de Sainte-Catherine en 1797.)

Le commandant du brick russe, le capitaine lieutenant Alexandre Ivanovitch Kazarskii (1797-1833), décide en accord avec ses officiers d’accepter le combat et rejette toute idée de réédition. On fait rentrer les avirons, l’affrontement commence. Le vaisseau amiral turc laisse porter, pour passer à tribord du brick et le prendre ainsi entre deux feux. Par une série de manœuvres bien exécutées, Kazarskii réussit toutefois pendant presque une heure à conserver les deux ennemis d’un même bord. Mais il est bientôt entouré et subit de fortes bordées ennemies. Après quatre heures de manœuvres et de lutte, le brick est sur le point de succomber, le capitaine écrit dans son rapport qu’il avait alors décidé à de faire sauter son navire en mettant le feu à la soute aux poudres, quand, par quelques coups heureux, le Merkourii parvint à désemparer ses adversaires et finalement à leur échapper.

Par Mikhaïl Stepanovitch Tkatchenko, 1907.

Par Mikhaïl Stepanovitch Tkatchenko, 1907

Cette action héroïque fut largement rapportée et commentée en Russie. Le tsar Nicolas Ier accorda à tous les officiers et matelots du navire une double pension jusqu’à la fin de leur vie et les décora tous de Saint-Georges et Saint-Vladimir. Il fit ajouter un pistolet aux armoiries de chacun des officiers pour symboliser la résolution héroïque qu’ils avaient pris avant le combat.

Le commandant du navire, Kazarskii, reçut le titre d’aide de camp de Sa Majesté. Il mourut quatre ans plus tard, à l’âge de 36 ans, dans des circonstances troublantes. Bien qu’officiellement mort de façon naturelle, on suspecta pendant longtemps un empoisonnement par quelques officiers jaloux de sa célébrité…

Le brick lui-même reçut la même distinction que le vaisseau Azov, qui s’était distingué durant la bataille de Navarin un an et demi plus tôt, le 20 octobre 1827 : le pavillon de Saint-Georges, qui apparaissait sous forme d’un blason de Saint-Georges ajouté au centre de l’emblème à la croix de Saint-André du pavillon de hune, de la flamme et du pavillon de poupe.

Pavillon de Saint-Georges

En l’honneur du petit brick et de son action, une lignée de navires de la flotte de la mer Noire furent en outre baptisés Pamiat Merkourii (Память Меркурия/Souvenir du Mercure).

Par George Dmitriew.

Par George Dmitriew

Une réflexion sur “Histoire d’une peinture marine russe

  1. Sans diminuer la valeur de cet exploit, reconnaissons que celle de la marine turque de l’époque était particulièrement lamentable. Une injure encore en vigueur au début du 20eme qualifiait un navire particulièrement mal tenu de ‘’bateau de turc’’
    Merci Nicolas pour cet article

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