Le transfert très prochain du célèbre Canot de l’Empereur, du Musée de la marine de Paris vers Brest, qu’il avait quitté durant la Seconde Guerre mondiale, est l’occasion d’écrire quelques mots à propos de cette pièce exceptionnelle. Exceptionnelle parce qu’il demeure le seul canot d’apparat encore conservé en France, exceptionnelle également du fait de son histoire.

Napoléon Ier et Marie-Louise visitent l’escadre mouillée dans l’Escaut devant Anvers en 1810. Tableau peint à l’occasion de la visite de l’Empereur dans la ville. Par Mathieu-Ignace Van Brée (1773-1839). Collections du château de Versailles.
Cette histoire commence au début de l’année 1810. Napoléon, qui est probablement à l’apogée de son pouvoir, souhaite visiter l’arsenal d’Anvers, dont il a ordonné la construction quelques années plus tôt et pour lequel il a de très grandes ambitions.
A cette occasion, le ministre de la Marine de l’Empire, l’amiral Decrès, ordonne dans le plus grand secret au préfet maritime d’Anvers, Pierre-Clément Laussat, la construction dans l’arsenal d’un canot d’apparat, destiné à transporter le couple impérial lors de sa visite. Le 29 mars 1810, Laussat écrit à Decrès : « Le Grand Canot, tel que votre Excellence le désire, va être fait. Il aura une chambre close en vitrage. Un second plus petit, également orné, aura sa chambre fermée par des tendelets et des rideaux. Les plans seront remis incessamment à M. Sané. Il ne sera point perdu un moment. »
En 21 jours seulement, le Canot est prêt. Il est long de 18 m 30, large de 3 m 30 et profond de 90 cm avec un étonnant roof de 15 m2 en forme de carrosse. C’est le sous-ingénieur Guillemard qui en établit le tracé, approuvé par Jacques-Noël Sané, alors inspecteur général du Génie maritime. Sa construction est confiée au maître Théau et les éléments décoratifs au sculpteur anversois Van Petersen.
L’ornementation du Canot est alors très différente de celle d’aujourd’hui et il n’en existe malheureusement aucune description précise. On sait seulement, d’après le tableau de Van Bree (ci-dessus), que le Canot était blanc, avec des sculptures dorées au niveau de la cabine. On peut toutefois estimer que cette œuvre est peu représentative de ce qu’était véritablement le Canot à cette époque, car on constate que l’artiste n’a représenté que trois fenêtres côté tribord de la cabine, alors que celle-ci en compte en réalité cinq.
Le 30 avril 1810, le Canot d’apparat, mue par 28 rameurs marins de la Garde, fait son entrée dans Anvers. Un témoin écrit : « Un grand nombre de canots richement et élégamment décorés étaient disposés et prêts à partir. Leurs Majestés se sont embarqués dans celui qui leur était destiné. L’Empereur a nommé pour l’accompagner dans son canot Son Altesse le Prince de Neufchâtel, le Ministre de la Marine, l’Amiral Missiessy et le Colonel général de la Garde de service ; le cortège fut aussitôt mis en marche se dirigeant sur le vaisseau amiral le Charlemagne. Quand le canot de l’Empereur a été aperçu par les vaisseaux qui se trouvaient dans le Rupel, tous ont pavoisé, salué de leur artillerie et les équipages de leurs cris de Vive l’Empereur. »
Pendant plusieurs jours le Canot assure les déplacements de l’Empereur, qui inspectera l’ensemble de l’escadre et assistera notamment au lancement du 80 canons le Friedland, le 2 mai.

Sous la Restauration, l’embarcation est nommée « Canot royal de Brest ». Extrait de l’Atlas du Génie maritime, fin du XIXe siècle. Bibliothèque du musée national de la Marine. On constate que sa décoration, la figure de proue notamment, est encore différente de celle d’aujourd’hui.
En 1814, suite à l’abdication de Napoléon, la France perd définitivement Anvers, qui est rattaché au nouveau royaume de Hollande. Si la plupart des navires qui y ont été construits par les Français sont cédés à la marine hollandaise, ce n’est pas le cas du Canot, qui est transféré à l’arsenal de Brest. Une notable anversoise, Jenny Cooppal, y fait allusion dans une lettre adressée à sa sœur, datée du 27 juillet 1814 : « Hier nous avons visité les chantiers navals. J’ai été assise à la place de Napoléon dans une chaloupe impériale. Louis XVIII a réquisitionné celle-ci et, à ce qu’il parait, elle sera chargée par le premier bateau qui fera route vers Brest. »
Le Canot reste ensuite à Brest, où il est quelque peu oublié jusqu’au Second Empire. En août 1858, l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie visitent Brest à son bord. C’est de cette époque que date l’ornementation actuelle du Canot, notamment la figure de proue représentant Neptune et son trident, le groupe arrière avec les armes impériales et, la grande couronne soutenue par quatre angelots surmontant le rouf.

Visite de Napoléon III à Brest, 11 août 1858. Par Auguste Mayer (1805-1890). Musée national de la Marine.
Le Canot de l’Empereur est encore utilisé sous la IIIe République, à l’occasion de plusieurs visites officielles à Brest : celle du président de la République Félix Faure en 1896, puis du président Émile Loubet en 1902.
Le 19 novembre 1922, il parade lors de la cérémonie organisée pour le Triomphe de l’École navale.
Le Canot est ensuite remisé au fond de l’arsenal, où il est une nouvelle fois oublié jusqu’en 1930, année durant laquelle il est déplacé, toujours à Brest, vers un nouveau hangar ouvert au public, sur la rive gauche de la Penfeld. Il y demeure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Pour le protéger des bombardements, il est dans un premier temps transféré dans un autre hangar, plus en retrait, à la hauteur de l’île Factice. On décide ensuite de l’envoyer à Paris en mai 1943, à l’occasion de la constitution du Musée de la marine à Chaillot.
Le voyage vers la capitale s’avère délicat et difficile. Il est dans un premier temps entreposé dans les jardins du Trocadéro car les portes du musée sont trop étroites pour l’y faire entrer. A cette fin, on décide finalement, en août 1945, d’ouvrir une énorme brèche dans le mur du Palais de Chaillot. Le Canot peut dés lors y être enfin exposé !
On a longtemps pensé qu’il resterait définitivement à Paris, on sait désormais que ce ne sera pas le cas. Car le musée de la Marine de Paris étant en rénovation depuis le 31 mars 2017 et fermé au public jusqu’en 2022, le Canot de l’Empereur est aujourd’hui sur le point de retourner à Brest, son port d’attache depuis deux siècles.
Sources :
– Dupont, Maurice. L’amiral Decrès et Napoléon
– Humbert, Jean-Marcel ; et Bruno Ponsonnet (sous la direction de). Napoléon et la mer : Un rêve d’Empire
– http://www.musee-marine.fr
Bon article, merci. Mais comment fera-t-il pour sortir du musée, ce fameux canot !
Merci pour votre message. La question posée ayant fait l’objet de nombreux articles dans la presse ces derniers jours, il est vrai que je n’ai pas développé cette partie. Par exemple : http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-le-canot-de-l-empereur-va-quitter-paris-en-faisant-le-mur-18-09-2018-7893579.php
Article vraiment très intéressant merci beaucoup
une découverte !
Bravo pour cet excellent article!
Pour tous les passionnés d histoire maritime, ne manquez pas d aller saluer notre célèbre Canot, soit lors de son arrivée à Brest mi-octobre, soit à l occasion de l’ouvert Du Pôle d’Excellence Maritime au plateau des Capucins fin 2019.
Bonjour,
En espérant que son exposition à Brest soit aussi bien mise à valeur qu’aux « Trois-Quatre-Zéro »;
Je ne suis, en rien, un obsédé du centralisme parisien, mais le musée de la Marine, installé à Paris, bénéficiait, au moins, d’une couverture médiatique internationale que n’a pas Brest. En matière de moyens de communications, la ville est loin de tout! Le TGV s’arrête à Rennes, la vitesse du trafic ferroviaire se cantonnant, dès lors, à celle d’un bête « rapide » des années 70, mais avec les retards « modernes » en prime!, Les liaisons régulières aériennes n’ont rien de « boulversifiantes » – je suis gentil! – et, comme il n’y a pas d’autoroute à accès payant, la vitesse sur les quatre voies bretonnes est limitée à 110 km/h!
En 2014- 2015, seul, le Musée de l’Armée, aux Invalides, affichait une fréquentation de l’ordre de 1 500 000 visiteurs, ce qui en faisait la 12ème fréquentation parisienne… le Musée de la Marine ne figurant, même, pas, dans le palmarès des 25 sites historiques parisiens les plus fréquentés, même si, dans l’ordre, Notre-Dame, la Basilique du Sacré Cœur, le Louvre, la Tour Eiffel, etc.,.. l’Arc de Triomphe sont, de fait; les lieux touristiques les plus cotés et que le Panthéon, classé 25ème, clôture la liste, en ayant enregistré, en 2014-2015, entre 665 000 et 670 000 visiteurs. … Allez, soyons fous! Le Musée de la Marine parisien doit, bon an, mal an – quand il est ouvert! – accueillir 200 000/220 000 visiteurs/an
Comparativement, le Musée de Brest; lui, a accueilli 75 128 visiteurs, en 2017 et a, même, sabré le champagne, pour l’occasion, vu qu’il s’agissait d’un record!
J’ai bien peur qu’à l’occasion de cette « transhumance administrative », le splendide Canot de l’Empereur que j’ai eu l’occasion d’admirer plusieurs fois, finisse, hélas, sa longue vie dans un quasi-oubli, faute de fréquentation.
Il est vrai que, ces dernières années, vu les problèmes de circulation dans Paris et (surtout!) de stationnement, le secteur du Trocadéro constitue un vrai casse-tête, avec un « bateau » de près de 6 m de long!… Amusez-vous, aussi, à tenter d’acheter une carte de parking, en débarquant de votre « inculte » province profonde ! J’avais, donc, renoncé à mes deux ou trois visites annuelles au Musée de la Marine. Depuis ma lamaserie alsacienne, il y a, désormais, 2000 bornes (aller-retour) pour une visite brestoise! J’ai beau être un breton pur « guin ruz », un ancien « bœuf » et un passionné de notre histoire navale, l’éloignement et le coût inhérent me calment très sérieusement.!… Amen… et presque tout le monde s’en fout!
Anvers eut une considérable importance pour Napoléon Ier qui y trouva, outre sa popularité immense en Belgique, l’un des rares moyens de pression par lesquels il pouvait espérer contraindre le Royaume-Uni à la paix.
Il y fit construire dix des vingt-deux navires de troisième rang lancés dans les ports étrangers de l’Empire, tous des classes du Pluton et de l’Albanais, versions rapetissées de la classe du Téméraire de 74 canons (2800t au lieu de 3000, et surtout 6,72 m de tirant d’eau au lieu de 7,15, ce qui aurait été excessif pour des fonds sablonneux, donc peu profonds). D’importants travaux, notamment un profond bassin commencé en 1810, lui permirent même d’y faire lancer six des sept vaisseaux de deuxième rang de la classe du Tonnant construits par l’Empire hors de France, sans modifications malgré leurs dimensions et leur tirant d’eau considérables selon les critères de ce temps (3800t et 7,63 m).
Pour Napoléon, Anvers est un « pistolet braqué sur le cœur de l’Angleterre ».
(Napoléon Bonaparte.be)
La même citation se trouvant chez Hugo, je me demande si l’on n’attribue pas au premier les paroles du second. C’était quand même une exacte description de la réalité.
Je pense aussi que la place de ce canot était à Paris, au musée de la marine.
On peut lire un résumé du passage de Napoléon à Anvers en 1810 à partir de la page 273 de cet article.
https://napoleonbonaparte.be/napoleon-a-anvers-en-1803-et-1810/
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5621232z/f285
Bonjour,
A la lecture des propos ridicules et caricaturaux de différentes personnes, notamment l’alsacien Charpentier, je me permets en tant que brestois d’intervenir.
La place du canot de l’empereur est naturellement à Brest, ville française, comme précédemment de 1814 à 1943.
La place choisie par la ville de Brest pour le canot de l’empereur est le plateau des Capucins. Ancien bâtiment de l’arsenal, enfin ouvert au public, nouveau lieu culturel à Brest, desservi par le téléphérique et où se trouve déjà la médiathèque.
Que les « grincheux nostalgiques » viennent à Brest découvrirent le plateau des Capucins en 2019, et ils pourront constater que le canot de l’empereur est dans un écrin exceptionnel !
A bon lecteur, salut !
Bonjour,
À la lecture des propos ridicules et caricaturaux d’une seule personne, précisément Sethim, je me permets en tant que Francais d’intervenir et de rappeler que, lorsqu’on dit qu’on est un Brestois, on met une majuscule à ce mot.
La place du canot de l’empereur n’est naturellement pas à Brest, ville française, comme trente-six mille autres, d’autant moins que depuis soixante-quinze ans il se trouvait au musée de la marine.
La place choisie pour le canot de l’empereur était donc un écrin non seulement exceptionnel mais encore incomparable. Loin d’être en un lieu périphérique, lon d’être en un lieu sans lien aucun avec sa signification historique, il était dans la capitale de la France, servi par le plus extraordinaire réseau touristique au monde.
Que les « snobs grincheux » condescendent à considérer d’autres points de vue que celui d’incultes en histoire navale, manifestement dépourvus de tout intérêt pour ce sujet, et ils verront que le plateau des Capucins, malgré tous ses charmes, n’a pas plus de titre à recevoir ce témoignage du passé national que, par exemple, la place Stanislas ; ils mesureront alors la faute exceptionnelle qu’est ce déménagement du canot de l’empereur !
À bon entendeur, salut !
Merci de rester courtois dans les échanges. A défaut je supprime :)
MAJ : Et j’ai supprimé la suite, inintéressante…
Le Canot est enfin à Brest et il y restera longtemps, il est chez lui.