Quand les Anglais se moquaient des peintures françaises

Combat de la frégate la Canonnière contre le vaisseau HMS Tremendous et une frégate anglaise, le 21 avril 1806. Par Julien Gilbert.

En 1830, Charles X, dernier frère de Louis XVI, est chassé du pouvoir et son cousin, Louis-Philippe d’Orléans, est proclamé Roi des Français. Très vite, la question se pose du devenir du château de Versailles, jusque là résidence royale.

Le 1er septembre 1833, le Roi Citoyen, passionné d’Histoire, prend la décision de transformer Versailles en musée historique, dédié « à toutes les gloires de la France », où seront rassemblées toutes les images peintes, sculptées, dessinées et gravées qui illustrent des événements ou des personnages de l’histoire de France depuis ses origines. Au-delà du rôle pédagogique du musée, l’idée est de réconcilier tous les Français si divisés depuis quarante ans. Cette gigantesque entreprise est confiée à l’architecte Frédéric Nepveu. Louis-Philippe prend quant à lui en charge le financement des travaux sur la dotation de sa liste civile, pour plus de vingt-trois millions de francs or, et en suit le déroulement de très près, en multipliant les visites de chantier.

Après quatre ans de travaux, durant lesquels on est amené à détruire de nombreux appartements princiers, Louis-Philippe peut enfin inaugurer son musée.

L’inauguration a lieu le 10 juin 1837, le site officiel du château de Versailles raconte : « Le roi vient de marier, le 30 mai, son fils aîné le duc d’Orléans, avec Hélène de Mecklembourg-Schwerin. L’inauguration fait partie des réjouissances. Entouré de sa famille et de ses ministres, Louis-Philippe entame l’inauguration dans la galerie des Batailles. Aux discours d’usage suit une visite du musée. Toutes les personnalités des arts et des lettres, des sciences et de la politique sont présentes. On peut y croiser Victor Hugo en uniforme de la Garde nationale, Balzac vêtu en marquis, Alexandre Dumas, Delacroix, etc… Une foule nombreuse déambule dans les galeries. Félicitant Hugo de son habit, le roi lui demande son avis sur le musée. L’écrivain lui répond, flatteur, que « le siècle de Louis XIV avait écrit un beau livre et que le roi en avait donné une magnifique reliure !« .

Les festivités se poursuivent, de 16 à 18h, par un banquet dans la galerie des Glaces, puis un spectacle à l’Opéra royal. Dans une salle repeinte en rouge et or, la Comédie-Française est conviée à jouer Le Misanthrope de Molière. Malgré la présence de la célèbre Mademoiselle Mars, la représentation est froide. L’accès de la salle fut réservé à quelques personnalités, essentiellement des hommes, ce qui contribue à la tristesse du spectacle. Il est suivi d’une visite aux flambeaux du musée par le roi. On s’attarde sur la statue de Jeanne d’Arc réalisée par sa fille Marie. A 23h, les convives commencent à regagner Paris. Ce sont là les premières festivités à Versailles depuis la Révolution. Un nouvel usage s’instaure. »

Louis-Philippe se fait présenter le corps diplomatique dans la Galerie des Batailles lors de l’inauguration du musée de Versailles, le 10 juin 1837. Par François Joseph Heim (1787-1865) . Versailles.

Assez logiquement, la création de ce musée aura pour conséquence, dans les années 1830, une multiplication des commandes royales, créant ainsi une certaine émulation chez les artistes français. Si bien que de nombreuses peintures seront réalisées durant cette période. Parmi elles, plusieurs représentent des combats maritimes datant, notamment, de la guerre d’Amérique et de l’époque napoléonienne. Citons par exemple les réalisations de Louis Meyer, Auguste Mayer (voir le billet consacré à son œuvre sur la bataille de Trafalgar), Julien Gilbert ou encore Théodore Gudin.

Ainsi, si Gudin s’inspira des batailles d’Ouessant (1778) et de Chesapeake (1781), les artistes privilégiant l’époque impériale vont s’employer, étant donné la quasi-absence de grande victoire navale durant cette période, à mettre en avant les triomphes du Petit Poucet français face à l’Ogre anglais. Les exemples ne manquent pas : prise de la frégate anglaise Embuscade par la corvette française la Bayonnaise le 14 décembre 1798 ; prise du Kent par le petit corsaire de Surcouf en 1800 ; prise à l’abordage du vaisseau anglais de 50 canons Lord Nelson par le corsaire la Bellone en 1804 ; combat de la frégate française la Canonnière contre le vaisseau anglais Tremendous en 1806 (voir l’image ci-dessus) ; combat désespéré de la Pomone contre deux frégates anglaises en 1811 ; combat audacieux du 118 canons le Wagram qui sauve plusieurs vaisseaux français de la capture face à toute une escadre anglaise en 1813 ; combat du vaisseau français le Romulus contre trois vaisseaux anglais à l’entrée de la rade de Toulon en 1814 (voir image ci-dessous) ; etc.

Concernant les grandes batailles navales de l’époque napoléonienne, on s’évertue également à mettre en valeur l’héroïsme des marins français qui, malgré la défaite, ont fait preuve d’un grand courage : les actions glorieuses des vaisseaux le Bucentaure, le Redoutable et le Pluton à Trafalgar ; l’explosion de l’Orient et le sacrifice de son équipage ou la mort légendaire du capitaine de vaisseau Dupetit-Thouars sur le Tonnant à Aboukir. Là encore, l’inégalité des armes est mis en avant, les vaisseaux français étant à chaque fois entourés de bâtiments ennemis plus nombreux.

Combat du vaisseaux français le Romulus contre trois vaisseaux anglais à l’entrée de la Rade de Toulon, le 13 février 1814. Par Julien Gilbert.

En Angleterre, la multiplication de ce genre de peinture provoque la réaction du journal satirique Man in the Moon, qui publie en 1847 un petit article, très moqueur et quelque peu arrogant, sur lequel je suis tombé dernièrement et que je souhaitais partager :

« Our funny neighbours, the French, have lately gone with considerable ardour into the marine painting line, apparently with the view of proving to the world that if we have always defeated them by wholesale, they have ever thrashed us black and blue by retail. The blue lights thrown upon history by their pictorial episodes of the battles of the Nile and of Trafalgar, as vouched for by French authority, are as curious as they are novel.

Of course it was the native modesty so inherent in the Gaul which shrunk from recording in history the exploits of La Blague, of 20 guns, demolishing half-a-dozen British ships of the line, or of La Carotte, of 10 guns, yard-arm to yard-arm for eight hours with two English three-deckers. Nevertheless the maritime heroes of France do now enjoy renown. ‘Tis quite a lesson for us, who rule the waves, to see how we were pummelled without ever having heard of it. »

Below is a ‘Man in the Moon’ artist’s quick rendering of one of these masterworks which sold for an undisclosed large sum titled La Carotte Triumphant. »

Traduction en français (elle souffre peut être de quelques approximations ou erreurs, n’hésitez pas me les faire remarquer) :

« Nos amusants voisins, les Français, se sont récemment mis avec une ardeur considérable dans la peinture marine, apparemment pour prouver au monde que même si nous les avons globalement défaits, ils ont pu parfois nous battre au détail. L’éclairage jeté sur l’histoire de leurs épisodes picturaux des batailles d’Aboukir et de Trafalgar, attestées par l’autorité française, sont aussi curieuses que nouvelles.

Évidemment, c’était la modestie naturelle si inhérente à la Gaule qui l’avait empêché de mentionner dans l’histoire les exploits de La Blague, de 20 canons, démolissant une demi-douzaine de vaisseaux de ligne britanniques, ou de La Carotte, de 10 canons, se battant bord à bord pendant 8 heures avec deux trois-ponts anglais. Malgré tout les héroïques marins français connaissent désormais la gloire. Une leçon pour nous, qui dominons les mers, de voir comment nous avons été matraqués sans jamais en avoir entendu parler. »

Ci-dessous, un rapide dessin d’artiste d’un de ces chefs d’œuvre vendus pour une somme astronomique et non divulguée, La Carotte triomphant. »

« Perfide Albion ! »

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