Le 26 mai 1811, le brick français l’Abeille commandé par l’enseigne de vaisseau de Mackau se dirige vers Livourne lorsqu’il aperçoit au large de la Corse un navire qui ne répond pas aux signaux de reconnaissance. Il s’agit du brick anglais Alacrity, de force équivalente et commandé par le capitaine Nesbit Palmer, qui se présente en route inverse, sous le vent. Au moment de le croiser, Mackau vire de bord vent arrière et lui envoie une bordée d’enfilade dans l’arrière, puis l’empêche d’exécuter une manœuvre analogue. Il répète cette manœuvre après trois quarts d’heure de combat meurtrier. L’Alacrity, désemparé, amène son pavillon.
Mackau écrit son rapport au ministre de la Marine, l’amiral Decrès :
« Monseigneur,
J’ai l’honneur de rendre compte à Votre Excellence de l’engagement qui a eu lieu, le 26 mai, dans le canal de la Corse, entre le brick de l’Empereur l’Abeille, que je commandais provisoirement, et celui de Sa Majesté Britannique l’Alacrity, capitaine Palmer.
Le 26, au soleil levé, j’aperçus un brick dans le nord du cap Saint-André (île d’Elbe). Je présumai qu’il était un de ceux de notre flottille de Gênes. Je lui fis, à six milles de distance, les signaux de reconnaissance : il n’y répondit pas. Je fis alors hisser le pavillon de l’Empereur ; il fut appuyé d’un coup de canon et salué par les cris des braves de l’Abeille.
J’ordonnai le branle-bas de combat ; les vents étaient à l’est ; l’ennemi venait sur nous vent arrière, étant exactement est et ouest l’un de l’autre ; je faisais fasseyer les voiles, afin de ne pas faire de chemin et d’être toujours en position d’enfiler le brick de l’ennemi de l’avant à l’arrière, s’il continuait sa route.
Ce que j’avais prévu arriva : le brick courut en dépendant et vint prendre nos eaux. Dès qu’il y fut positivement, je fis gouverner près et plein, et, lui ayant gagné le vent, je le prolongeai à contre-bord au vent. Aussitôt que nous fûmes par son avant, nous ralinguâmes nos voiles de l’arrière, et, passant à poupe de l’ennemi, nous lui envoyâmes la volée à bout portant ; puis nous prîmes les mêmes amures que lui, continuant à le combattre par sa hanche de dessous le vent, à quart de portée de pistolet.
Au bout de vingt minutes, l’Abeille avait couru de l’avant et canonnait son ennemi sur son bossoir de tribord. Celui-ci manœuvra pour arriver et nous passer à poupe. Je m’en aperçus, et, faisant arriver aussi promptement que lu, je le combattis par notre batterie de tribord, avec le feu le mieux nourri.
L’ennemi ne pouvant plus tenir notre travers, arriva tout plat. Je fis ralinguer toutes les voiles de l’Abeille, et nous lui envoyâmes deux volées à poupe, à la suite desquelles il amena son pavillon.
Pour citer les braves de l’Abeille, il faudrait nommer tout l’équipage. C’est aux soins constants de l’enseigne de vaisseau Fortoul que nous avons dû notre grande activité d’artillerie. C’est par l’attention continue de l’enseigne de vaisseau Montaulieu que nous sommes parvenus à primer l’ennemi dans les manœuvres.
L’aspirant de première classe Pujol, remplissant à bord les fonctions d’officier, a rivalisé de soins et de bravoure avec ses camarades, il était partout où il fallait être.
Le maitre d’équipage Paron, le chef de timonerie Bertrand, le capitaine d’armes Parot, le maître canonnier Ganivet, m’ont été d’un grand secours.
Le brick l’Alacrity est armé de dix-huit caronades de trente-deux, de deux canons de huit, et d’une petite caronade de douze.
L’Abeille, de dix-huit caronades de vingt-quatre et de deux canons de huit.
L’Alacrity avait un équipage plus nombreux que celui de l’Abeille. Ce brick a eu quinze hommes tués et vingt blessés.
L’Abeille compte sept tués et douze blessés ; mais il a toujours combattu dans les positions les plus avantageuses. »
Concernant l’armement des deux navires, s’il est établi avec exactitude que l’Abeille portait 20 caronades de 24, il existe un doute quant à l’armement de l’Alacrity. Le rapport de Mackau donne en effet au navire anglais un armement composé de 20 caronades de 32. Cependant, l’historien anglais William James a contesté ces chiffres, affirmant que l’Alacrity était armé, ce 26 mai 1811, de 16 caronades de 32 et de 2 canons de 6.
Il existe également un doute quant aux chiffres exactes des pertes anglaises. Le rapport de Mackau affirme que les Anglais ont perdu 15 hommes tués et 20 blessés. Comme souvent, les chiffres anglais sont sensiblement différents puisqu’ils donnent 4 morts et 18 blessés, dont 4 mortelles. Toujours est-il que tous les officiers anglais sont tués ou blessés. Le capitaine Palmer, mortellement touché durant le combat, succomba peu après.
Les deux navires ont beaucoup souffert du combat et leurs gréements sont très endommagés. Mackau ne pouvant les conduire ainsi à Livourne les amène à Bastia, où ils arrivent le jour même. Réparés, ils appareillent ensuite pour Livourne, qu’ils atteignent en juillet 1811. Dans ce port, Mackau reçoit une lettre de Decrès datée du 18 juin 1811 :
« Je me suis empressé de rendre compte à l’Empereur, monsieur, des circonstances honorables du combat que vous avez soutenu, le 26 mai dernier, contre le brick anglais l’Alacrity, dont vous vous êtes emparé.
Sa Majesté, satisfaite des talents et du courage dont vous avez fait preuve dans cette action, a bien voulu, par décret en date du 14 de ce mois, vous conférer le grade de lieutenant de vaisseau et la décoration de la Légion d’Honneur.
Le compte que vous avez rendu des officiers, aspirants et maîtres du brick l’Abeille, a fixé l’attention de Sa Majesté, et elle a daigné leur accorder les récompenses ci-après, que j’ai voulu vous donner la satisfaction de leur annoncer, savoir :
A l’enseigne auxiliaire Montaulieu, le grade d’enseigne de vaisseau et la décoration de la Légion d’Honneur ;
A l’enseigne auxiliaire Fortoul, le grade d’enseigne de vaisseau et la décoration de la Légion d’Honneur ;
A l’aspirant Pujol, le grade d’enseigne de vaisseau ;
Au capitaine d’armes Parot, le grade de lieutenant en deuxième dans le corps impérial de l’artillerie de marine ;
Au maître d’équipage Paron, la décoration de la Légion d’Honneur.
Ces grâces sont une nouvelle preuve de ce que peuvent attendre de la munificence de Sa Majesté les officiers et les marins qui se distinguent à son service ; elles doivent être pour tous un puissant motif d’émulation, en même temps qu’elles imposent à ceux qui les ont obtenues l’obligation de redoubler de zèle, de courage, et de dévouement.
P.S. : Ce combat et son succès vous font, à vous et à votre équipage, beaucoup d’honneur. Vous êtes autorisé à me proposer des avancements de paye pour tous les marins sous vos ordres, qui les méritent par leur expérience, et vous réunirez votre équipage pour lui faire connaître la satisfaction de Sa Majesté.
Quant à l’Alacrity, procédez sur-le-champ à ses réparations et à la formation de son équipage ; vous en avez le commandement, et je ne doute point qu’il ne devienne pour vous une nouvelle source de gloire. »
Mackau est en récompense de ce succès promu lieutenant de vaisseau et fait chevalier de la Légion d’honneur. Il reçoit le commandement du bâtiment capturé (il sera finalement désarmé le 1er juillet 1815 à Toulon). Promu capitaine de frégate le 7 février 1812, capitaine de vaisseau le 1er septembre 1819, contre-amiral le 1er septembre 1825, vice-amiral le 30 mai 1837, puis amiral le 23 décembre 1847, il sera ministre français de la Marine et des Colonies de 1843 à 1847.
Sources :
– Dictionnaire Napoléon. Sous la direction de Jean Tulard.
– L’amiral de Mackau. Par Girette.
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